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No.977 du 20 au 26 août 2014

www.lesinrocks.com

Xavier Dolan Godard, Titanic, Céline Dion et moi

Kristen Stewart la belle indocile

rentree cinema Les Combattants et Party Girl vigueur du jeune cinéma français les films événements de l’automne M 01154 - 977 - F: 3,50 €

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Angus & Julia complètement Stone

Emmanuel Carrère en toute bonne foi

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04 édito 06 recommandé 08 interview express ThePizza Underground

10 événement à Ferguson (Missouri), la mort de Michael Brown, un ado noir tué par un policier, démontre que les discriminations raciales restent l’éternel problème des Etats-Unis

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Philippe Garcia pour Les Inrockuptibles

No. 977 du 20 au 26 août 2014 couverture Xavier Dolan par Philippe Garcia pour Les Inrockuptibles

nouvelle têteJone San Martín la courbe la loupe summer of the 90’s style

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20 toiles de maîtres

Jennifer Steinglen

entretien avec Xavier Dolan. Garçon moderne, à la fois mature et juvénile, il signe Mommy, en salle en octobre, véritable cyclone émotionnel qui a bouleversé Cannes +rencontres avec ThomasCailley (LesCombattants), Kristen Stewart (SilsMaria), Jason Statham (Expendables3)… +les 7 thèmes capitaux de la rentrée ciné

46 le monde est Stone

50 Le Royaume d’Emmanuel Carrère de sa propre crise mystique, l’écrivain a tiré une enquête érudite sur la naissance duchristianisme et aujourd’hui un roman passionnant. Entretien

56 les égéries de la mode 4/4

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Frédéric Stucin pour Les Inrockuptibles

le duo Angus & Julia Stone s’est reformé pour un troisième album, entre satin et électricité, sous la houlette de Rick Rubin

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cinémas Sils Maria, LesCombattants… musiques FKA Twigs, J Mascis… livres Christophe Donner, Lydie Salvayre… scènes le Festival du Théâtre du Peuple expos Joana Hadjithomas et Khalil Joreige... médias la télé aime-t-elle la musique ?

56

Richard Saker/Rex Features/Sipa

Isabella Blow, aristocrate déchue mais flamboyante, fut celle qui lança la carrière du créateur britannique Alexander McQueen

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Tristar

Robin Williams (1951-2014), Lauren Bacall (1924-2014)

Hook et Look “J’ai aussi mes instincts de cinéma. Mes vraies influences: Titanic ; LaLeçon de piano ; Magnolia ; Batman, le défi ; Jumanji… Ils m’accompagnent sur chaque projet, à chaque instant.” C’est le jeune héros de notre rentrée cinéma qui parle. Ces quelques films, vus enfant, ont donc constitué un terreau suffisamment fertile pour qu’y germe une œuvre aussi luxuriante, vive et éclatante que celle de Xavier Dolan. Jumanji, vraiment ? Ce film où Robin Williams, ahuri, court partout pourchassé par des bêtes de la jungle numérique ? Si l’on en croit la très grande émotion exprimée à la suite de la mort de son interprète, Xavier Dolan n’est pas le seul a avoir kiffé Jumanji (ou MadameDoubtfire, ou LeCercle des poètes disparus). Robin Williams, c’est l’acteur doudou par excellence. Rond, rassurant, candide, il a été aimé comme une peluche et sa filmo, pourtant anodine, est la madeleine d’au moins une génération. L’essentiel de l’œuvre tourne d’ailleurs autour de l’enfance. Il l’encadre (en prof –Le Cercle…, en gouvernante –MadameDoubtfire), la sonde (le bon papa analyste de Will Hunting), ou alors l’incarne hors délai. C’est Jack de Coppola, où il est un enfant dont le corps a prématurément vieilli, ou bien sûr Peter Pan dans Hook de Steven Spielberg, un Peter paradoxalement devenu adulte, sommé de renfiler sa défroque d’éternel enfant. Il y a un imaginaire Michael Jackson à l’œuvre chez Robin Williams, dont trop peu de films ont exploré la dimension monstrueuse et inquiétante. Dans Will Hunting, l’éponyme surdoué caractériel (Matt Damon) inspecte le bureau du psy bienveillant et tombe sur une aquarelle peinte par lui. On y voit un pêcheur dans une barque agitée par la tempête. “Cet homme, c’est vous. Paumé dans votre vie comme dans cet océan, incapable de contrôler le cours des événements, seul et sans espoir”, lui lance le teigneux patient. Le psy Robin étrangle alors le morveux

en le plaquant contre un mur. C’est finalement lui-même que Robin Williams aura étranglé (par pendaison), pour s’extraire d’orages intimes sûrement aussi impétueux que ceux que peignait son psy “gus van santien”. Variante à l’enfant incarcéré dans un corps d’adulte (le syndrome Robin Williams donc): l’adulte prétendument réincarné dans un corps d’enfant. C’est un peu inquiète que Lauren Bacall, dans Birth de Jonathan Glazer, un de ses derniers rôles, voit sa fille (Nicole Kidman) aimantée par un gamin de 10ans qui prétend être son mari réincarné. Pourtant, en quatre-vingt-dix ans d’existence dont presque soixantedix à faire du cinéma, l’actrice était familière des deuils et des fantômes. Celle qu’on surnommait “TheLook” a succédé à Robin Williams à la une des quotidiens sur toute la planète et on ne peut imaginer carrières plus dissemblables. Superstar très jeune (Robin a déjà 36ans lorsque Good Morning, Vietnam en fait une vedette), elle ne s’est jamais vraiment éloignée du cinéma (jusqu’à tourner avec Lars von Trier et Jonathan Glazer dans les années2000) et, surtout grâce à Howard Hawks (LePort de l’angoisse, LeGrand Sommeil), est devenue instantanément un mythe de la cinéphilie classique et des cinémathèques. C’est pourtant dixans plus tard, dans la seconde moitié des années50, sans Bogart, qu’elle trouve ses rôles les plus passionnants: la complexe Toile de l’araignée de Minnelli (1955), le grandiose Ecrit sur du vent de Douglas Sirk (1956) et l’éblouissante Femme modèle (Minnelli encore, 1957) où, en icône ultime de la mode, elle se surpasse dans la fantaisie et l’autodérision. Comme nulle autre, elle pouvait siroter un verre de scotch tout en regardant ironiquement par en dessous, tout en faisant passer d’un coup sec de la main ses cheveux derrière son épaule droite. Oui, vraiment une femme, et une artiste, modèles.

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une semaine bien remplie

glam Moodoïd Je suis la montagne, très remarqué premiermaxi de Moodoïd, projet-univers pailleté et féminin de Pablo Padovani, avait mis le groupe sur une orbite brillante: LeMonde Möö, album à explorer mille fois pour en faire le tour, va plus loin encore dans la folie pop et les mélanges azimutés, entre psychédélisme zinzin, morceaux sensuels et musiques des mondes. album Le Monde Möö, facebook.com/Moodoid

Graffiti Writer, 1998, courtesy Institute for Apply Autonomy, USA

Fiona Torre

Robin Bervini

Partir à la découverte des mondes de Moodoïd, rejoindre Edward Snowden dans son exil moscovite, prendre une bonne dose de rock avant la rentrée, infiltrer une société secrète en quête d’immortalité et retrouver les objets fétiches de l’artivisme.

désordres Disobedient Objects Des billets tagués d’Occupy Wall Street aux masques de gorille des Guerilla Girls, Disobedient Objects montre le rôle des objets dans les mouvements decontestation mondiaux. Ce “mode d’emploi” de la désobéissance démontre comment l’activisme politique peut dynamiser la créativité collective, au-delàdes définitions traditionnelles de l’art et du design. exposition jusqu’au 1er février 2015 au Victoria and Albert Museum de Londres, vam.ac.uk

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LesS ud-Africains de Die Antwoord

hauts de scène Rock en Seine C’est le festival francilien que tout lemonde attend: Rock en Seine est de retour pour une édition pleine de grands noms et de découvertes. On y retrouvera Lana Del Rey et Arctic Monkeys, TheProdigy et DieAntwoord, mais aussi Frànçois &The Atlas Mountains, Feu! Chatterton ou Camp Claude. Le bel été. festival du 22 au 24août à Saint-Cloud, rockenseine.com

big brother Wired En couverture du magazine américain, interview fleuve du “Most Wanted Man in theWorld”, Edward Snowden, en exil àMoscou. Il y révèle lenouveau programme développé par la NSA : Monstermind, un robot capable de répliquer aux cyberattaques.

Robin Bervini

en kiosque le 22septembre, wired.com

transhumain Intruders Une société secrète, des complots, un flic à la retraite qui reprend du service: la série américaine Intruders, inspirée du livre de MichaelMarshall Smith TheIntruders, offrira uneréflexion en huitépisodes sur la quête de l’immortalité. Un projet développé parGlen Morgan, l’ancien producteur de la série de référence X-Files. série à partir du 23 août sur BBC America 20.08.2014 les inrockuptibles 7

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“le fromage peut vraiment rapprocher les gens”

C

omment vous êtes-vous rencontrés ? The Pizza Underground– La plupart d’entre nous nous sommes croisés dans la scène antifolk de NewYork, où il y a un esprit de communauté et de bricolage qui fait que l’on se connaît tous plus ou moins. Deenah Vollmer (journaliste, et chanteuse dans le groupe –ndlr) gravite autour de cette scène depuis 2005. Macaulay Culkin, lui, y est venu petit à petit grâce à son amitié et àses collaborations artistiques avec Adam Green et Toby Goodshank (tous deux passés par les Moldy Peaches –ndlr). Et notre groupe s’est peu à peu renforcé grâce à la pizza. Le fromage peut vraiment rapprocher les gens, tu le savais ça ? Justement, quand avez-vous décidé de parodier les chansons du Velvet avec des mots se rapportant à la pizza ? Pendant la tournée L. A.BoobsTour, à laquelle certains membres du groupe participaient. On devait donner un concert dans un bar secret qui, en réalité, étaittellement secret que personne nes’est pointé. (Ils ont l’habitude dessalles vides ou hostiles, leurs derniers concerts s’étant soldés par des huées dupublic –ndlr). Unmec du bar jouait l’album TheVelvet Underground &Nico quand, soudain, quelqu’un s’est manifesté: “Qu’est-ce qu’il se passerait si toutes ces chansons parlaient de pizza ?”

Pourquoi la pizza en particulier ? On n’a pas choisi la pizza. C’est elle qui nous a choisis. Peut-être que c’est lié à l’époque. La pizza est un truc qui vous accompagne toute votre vie… Vous ne pouvez pas l’oublier, sa saveur occupe une place permanente dans notre présent. Si vous deviez définir votre musique ? Ce que tu entends, c’est le son de la pizza et de l’amitié. On a tout simplement résolu une question qui hantait notre génération: à quoi ça ressemblerait une musique qui réussirait à lier à la fois la pizza et les potes ? Pendant très longtemps, les gens pensaient quela réponse était: le générique du début desTortues ninja. Maintenant, ils savent que c’est ThePizza Underground. Vous sentez-vous encore liés à la scène antifolk ? On est un groupe parodique, donc on est liés à toutes les scènes et à aucune à la fois. On fréquente l’antifolk depuis des années, alors elle nous a forcément influencés. C’est grâce à l’émergence decette scène que l’on a appris toutes les astuces pour monter un groupe comme le nôtre: faire des conneries etjouer de la musique avec tous les trucs qui nous tombent sous la main. L’enregistrement de votre première demo, ce soir du 11novembre 2013, il ressemblait à quoi ? Well… Il y avait un froid d’automne dans l’air, les écureuils croquaient leurs

lippemfg.org

Le groupe parodique new-yorkais The Pizza Underground, mené par l’acteur Macaulay Culkin, donne aux Inrocks sa première interview en France. Où il est beaucoup question de pizzas, de la Grosse Pomme, de pesto et d’Andy Warhol.

dernières noisettes de la saison et on était en train de squatter l’appartement de Macaulay. Quelqu’un a appuyé sur le bouton “enregistrement”. Le reste appartient à l’histoire de la musique. On essaie de jouer les morceaux au meilleur de nos capacités. Généralement, tout le groupe se réunit pour écouter leschansons du Velvet et de Lou Reed, on se concerte, et on remplace les paroles

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“on n’a pas choisi la pizza. C’est elle qui nous a choisis”

Macaulay Culkin (à droite) et sa bande de joyeux lurons

avec des trucs liés aux pizzas qui nous font marrer. Le morceau Take a Bite of the Wild Slice est celui sur lequel on a le plus travaillé. Au départ, on faisait juste des jeux de mots pourris quand Deenah nous a dit: “Non, vous devez tenter de comprendre le véritable sens de la chanson originale.” Alors on a réécouté la voix de Lou Reed et on a réalisé qu’il parlait surtout d’expérimenter de nouvelles

choses, de s’ouvrir à de nouveaux horizons. On peut très bien appliquer ça àla découverte de différentes pizzas. Parlons de Reed, de vos influences… On rêve parfois que Lou Reed soitencore là. On aimerait savoir ce qu’il aurait pensé de notre groupe. Il nous aurait sûrement donné une approbation grincheuse, à sa façon. Il était si talentueux que ça n’est pas très dur de s’en inspirer,

et pas seulement pour des projets comme The Pizza Underground. L’autresource d’influence que l’on peut citer est NewYork, qui joue un rôle fondamental. Les membres du groupe sont tous nés dans cette ville, ou y vivent depuis des années, et même si notre musique peut sembler débile au premier abord, elletémoigne d’une réelle passion pour l’underground new-yorkais. Et dans l’histoire de cet underground, il y a Andy Warhol, dont vous avez détourné une célèbre performance dans une vidéo mettant en scène Macaulay Culkin mangeant une part de pizza. Oui, on a définitivement une sensibilité pour le pop-art. La pop, ce n’était que ça: prendre des iconographies variées, remixer les arts, associer des inspirations de manière arbitraire. Une grande chaîne alimentaire au bout de laquelle onaurait trouvé le Velvet, et les pizzas. Vous comptez enregistrer un album ? Ça pourrait être marrant de sortir un album de cette aventure, pourquoi pas. Nous avons travaillé ces derniers temps sur quelques chansons originales qui, on l’espère, devraient bientôt être diffusées. Mais on veut aussi se connecter à d’autres médias et diversifier nos activités. Il est possible, juste possible, que le groupe ne dure pas éternellement. Mais nous avons d’autres plans en commun. Alors, est-ce que lemonde est prêt pour uneémission de télévision animée par ThePizza Underground ? On verra… Quels sont les comiques qui vous ont inspirés ? Le premier est le plus évident: Weird Al Yankovic. Le second est un groupe: tous les Muppets. Le meilleur spot de pizzas et la meilleure variété de pizzas ? On aime vraiment Chez Joe àNewYork, sur Carmine Street. Mais tout dépend de la pâte en fait. Si la pâte est bonne, l’endroit est cool. Récemment, on a inventé notre propre pizza, avec du pesto de kale, de l’ail, des oignons, des tomatesitaliennes et du fromage ricotta. Tumélanges tout ça et c’est brillant. propos recueillis par Romain Blondeau 20.08.2014 les inrockuptibles 9

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MCT/Zuma/RÉA

retour de bâton Ferguson, banlieue calme de Saint-Louis, est, depuis la mort de Michael Brown, jeune ado noir tué par un policier, le théâtre d’émeutes inédites. Elles traduisent la colère d’une communauté afro-américaine excédée par le monopole blanc sur les postes à responsabilité et le harcèlement policier.

L

e Northwood Country Club de Saint-Louis est “probablement le plus coincé du cul des golfs du monde”, selon l’avis d’un internaute sur Google Maps. Il sépare surtout Ferguson, dans la banlieue de Saint-Louis, de la maison d’enfance de Mark Twain. Oui, Tom Sawyer, roman fondateur de l’identité américaine sur l’amitié entre un

jeune Blanc et un esclave, la débrouille et l’humour, a été imaginé autour des lieux des émeutes. Cruel symbole, qui rappelle que l’Amérique de 2014 traîne encore ses phobies raciales comme un boulet. A l’époque de Mark Twain, l’esclavage existait encore. Pas les camionssatellites de CNN. Ni les tweets. Ni l’équipement paramilitaire de la police du comté –treillis

camouflage, lancegrenades, lunettes à vision nocturne. Utilisés pour pacifier la ville, on ne sait s’ils inspirent davantage l’effroi, le sentiment du ridicule ou la colère. Côté manifestants, il n’y a pas de meneur: une ligne nette divise désormais pillards et modérés. Les grandes figures de la communauté noire, comme le révérend

AlSharpton, dépêché en avion depuis NewYork pour célébrer la messe du dimanche, tentent de s’approprier l’événement sans parvenir à apaiser. Barack Obama reste en retrait: un discours rassembleur, pas plus, au troisième jour des troubles, avec ordre donné au ministère de la Justice d’enquêter sur l’homicide. Peser sur les événements ne ferait

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Ferguson (Missouri), le11 août. Marche de soutien à Michael Brown, abattu par la police deux jours plus tôt

qu’ajouter de l’huile sur le feu et diviser l’opinion. Michael Brown n’est pas le premier Afro-Américain tué par la police dans des circonstances révoltantes cet été. C’est même le quatrième depuis le mois de juin. Les trois autres drames se sont déroulés à Los Angeles, àNew York et dans l’Ohio. Pourtant, c’est à Ferguson que l’abcès a crevé. Les analystes s’interrogent, comme Richard Rosenfeld, un professeur de criminologie à l’université

de Missouri-Saint-Louis, qui n’aurait pas misé un dollar sur Ferguson comme épicentre de la contestation noire américaine. Selon ses chiffres donnés au Sunday Times, à Ferguson, on interpelle davantage les Noirs que les Blancs, mais moins qu’ailleurs. AFerguson, être noir augmente vos chances d’être interpellé de 37 %. Dans le reste du Missouri, c’est 59 %. Ferguson, aux trois quarts noire, a certes des poches de misère, mais une classe moyenne, et une classe moyennesupérieure. Elle est donc mixte économiquement. Avec 22 % de chômeurs. C’est beaucoup. Mais pas le ghetto non plus. Pour d’autres observateurs, c’est au contraire étonnant que Saint-Louis ne se soit pas rebellé plus tôt. Les émeutes raciales des années70 ont enflammé L. A., Detroit, Newark... Mais Saint-Louis est resté calme. Une ville de consensus entre communautés, malgré des tensions évidentes. “Saint-Louis n’a jamais eu sa grosse émeute raciale (…). C’est peut-être le prix à payer pour un retour de bâton”, analyse Patricia Byrnes, membre du bureau démocrate de Ferguson. Ce retour de bâton, c’est le monopole des Blancs sur les postes

sur les cinquante flics municipaux, trois seulement sont noirs

à responsabilité dans la ville et le harcèlement policier. D’après les habitants, la raison des émeutes est liée à l’attitude des policiers. “On en a marre de la police municipale raciste”, résume Garland Moore, 33ans, né et grandi à Ferguson, aux reporters lors d’une des veillées funèbres en souvenir de Michael Brown. “Là, c’est la goutte d’eau.” AFerguson, l’équilibre entre habitants blancs et noirs a été atteint en 2000. Mais les figures de l’autorité –du procureur aux policiers, en passant par les chefs d’établissem*nts scolaires– sont restées blanches. Sur les cinquante flics municipaux, trois seulement sont noirs et les événements de ces derniers jours ont démontré que la nomination express d’un nouveau chef de la police, Ronald Johnson, un Noir, n’aura pas suffi à apaiser les tensions. Mais si Ferguson est régi par des Blancs, c’est avant tout parce que les Noirs ne votent pas. Les données sur la couleur de peau des votants n’existent pas, mais on sait qu’à peine 12 % des électeurs de Ferguson ont voté lors des municipales. Résultat: un maire blanc, cinq conseillers municipaux blancs sur six. A Ferguson, moins les gens votent, plus les Blancs sont élus. “On dit aux gens de faire attention, se défend John Gaskin, de la Société pour l’avancement des gens

de couleur (NAACP) du Missouri. Qui embauche les policiers ? Le commissaire. Qui recrute le commissaire ? Le maire. Et qui élit le maire ? Qui élit les conseillers municipaux ?” Pour Patricia Byrnes, “les habitants préoccupés par des questions du type: ‘Comment avoir un emploi ? Bosser ? Remplir le frigo ?’, ne réagissent pas le jour des élections ; ils ne votent pas. Ils votent à peine pour la présidentielle...”, détaille-t-elle au site d’information alternatif Democracy Now. Elle ajoute: “Résultat, les hommes politiques du coin ne ressemblent pas à la population (...). Ils ressemblent à la population qui vote. C’est frustrant, parce qu’à force, ils travaillent contre une majorité pour servir une minorité.” Le comble est donc que la solution est en partie entre les mains de la population, via les urnes. Mais il est trop tôt pour savoir si ces tragiques événements les inciteront à voter. “Je pense qu’il y a une énorme méfiance vis-à-vis du système”, dit à MSNBC Leslie Broadnax, une Noire de Ferguson démocratiquement battue lors de l’élection au poste de procureur de SaintLouis –tandis que le vainqueur, blanc, fait l’objet d’intenses critiques sur sa gestion du dossier Michael Brown. “Beaucoup de Noirs pensent: ‘Ça changera rien de toute façon. Mon vote ne compte pas.’ Si une communauté entière pense la même chose, collectivement, on a déjà perdu.” Maxime Robin 20.08.2014 les inrockuptibles 11

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Jone San Martín Au Festival d’automne, cette Espagnole ose un solo doublé d’une conférence dansée.

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one San Martín fait partie de cette constellation d’étoiles mises en orbite par le chorégraphe américain William Forsythe que le Festival d’automne honore cette saison. Native de San Sebastián, Jone San Martín est passée par le Ballet de Barcelone puis le Ballet royal de Wallonie. Elle excelle dans une gestuelle qui déconstruit le mouvement et se nourrit d’improvisations. Invitée il y a deuxans à donner une conférence sur la notation du mouvement chez Forsythe, l’interprète puise dans le répertoire “maison”. “Il était très intéressant de passer de la parole au mouvement et de constater que finalement le mouvement explique beaucoup mieux ce qui sepasse dans nos têtes”, explique-t-elle. En 2013, Jone San Martín y ajoute un solo, Legitimo/Rezo, sur un concept de Forsythe où une danseuse à moustache adopte parfois la voix des acteurs du film Persona d’Ingmar Bergman. “Cela fait vingtans que tu répètes pour ce solo”, lui a lâché Forsythe avant de plonger Jone dans le grand bain.

Josh Johnson

Philippe Noisette Legitimo/Rezo du 5 au 7septembre au Théâtre des Abbesses, du 2 au 8octobre au Centquatre, dans le cadre du Festival d’automne à Paris, festival-automne.com

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“je suis inquiète pour Muriel Robin”

retour de hype

The Libertines

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

Michel Houellebecq

Céline Dion la jupe d’écolière

“vous savez comment siffler, Steve ?”

Michael Cera “Kahn, Julliard, Giesbert et Joffrin sont sur le Costa Fortuna…”

“Jean-Vincent Placé, en fait, c’est un agent infiltré du Mossad ?” “winter is coming, putain”

Guéthary

la guerre du Golfe, saison 4

les blagues pourries sur Franck Ribéry

la déflation

Jessie Ware

“Kahn, Julliard, Giesbert et Joffrin sont sur le Costa Fortuna…” Du 13 au 22novembre, participez à leur Croisière des idées en Méditerranée pour la modique somme de 980euros. Michael Cera True That, l’album lo-fi de l’acteur, serait pas mal. The Libertines Attendus le 30septembre

au Zénith de Paris. Jean-Vincent Placé “Il faut dépasser nos vieilles lunes gauchistes”, a-t-il déclaré dans Valeurs actuelles. Michel Houellebecq Sans rien faire, il est partout. Chapeau l’artiste. Céline Dion Elle arrête tout pour s’occuper de René, accroche-toi Céline. La déflation Coucou 1929. A.L. et G.S.

tweetstat Philippe Martel, ex-chef de cabinet de Juppé passé chef de cabinet de Marine Le Pen, a réagi à la mort de Robin Williams. Philippe Martel

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35Pour % Natacha Polony sa défense

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de l’école à grand-papa. Favori

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au sombre héros de la mer Avec ces photos prises à l’île d’Yeu, Michel Sapin essuie une tempête de sarcasmes. Touché, coulé ?

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marin d’eau douce

Le choc des images, le poids des mots. Qui aurait pu rêver meilleure illustration de l’actualité économique catastrophique de la France que cette photo de presse accordée à l’agence Sipa –non sans humour– par notre ministre des Finances et des Comptes publics lors de ses vacances sur l’île d’Yeu ? Michel Sapin rame et les chiffres tombent, désastreux: croissance zéro, déficit dépassant les 4 %. Le ministre antigeek qui jugeait il y a peu dans L’Opinion que Twitter n’est qu’“imbécillité et appauvrissem*nt” et que les selfies font “des gueules de batraciens” passe sur le réseau social pour un marin d’eau douce. Cela n’a probablement pas plu à l’intéressé puisque les photos ont été retirées du site de Sipa quelques jours plus tard. Aussi stable que la stagnation de l’économie, une tendance se confirme: le ministre Sapin est résolument un génie de l’anticom.

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panne de moteur

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il voyage en solitaire

L’intemporel ciré jaune, symbole des entreprises françaises qui gagnent chères à Arnaud Montebourg, a protégé plus d’un marin mais sauvera-t-il Sapin ? Le 6août, le Conseil constitutionnel a censuré la baisse des cotisations salariales pour les 7millions de salariés les plus modestes. Depuis, Sapin cherche des “mesures alternatives”. Hollande a reçu une fin de non-recevoir d’Angela Merkel quant à sa demande d’un “soutien plus ferme à la croissance” européenne. Michel Sapin plaide dans LeMonde pour une adaptation du “rythme de la réduction des déficits publics à la situation économique actuelle”. Sera-t-il entendu ? Seul sur son petit bateau, Sapin semble fuir les embrouilles et tenter la traversée de l’Atlantique à la rame à la recherche de la reprise américaine. Anne Laffeter

“Tiens bon le cap et tiens bon le flot/Hissez haut !” Malgré les tempêtes électorales et la situation économique qui frise la déflation, les capitaines Hollande et Valls le répètent: “Il faut maintenir le cap” de la réduction des déficits et mettre en place le Pacte de responsabilité et de solidarité. Acculé par les mauvais chiffres, le matelot Sapin essuie le grain: “Mieux vaut assumer ce qui est plutôt que d’espérer ce qui ne sera pas”, a-t-il déclaré au Monde le 14août. Contrairement au ministère du Travail où il martelait la fiction de l’inversion de la courbe du chômage, le Sapin aux Finances hisse le pavillon de détresse: sans moteur (croissance), il faudra réduire la voilure (couper encore dans les budgets), ramer (se sacrifier) et lancer des fusées de détresse (voire appeler l’Europel’Allemagne à l’aide).

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Blur vs Oasis Dernier épisode de notre série d’été sur les années 90. Cette semaine, la plus belle bataille que la britpop ait connue.

I

lalutte des classes: l’Angleterre pop bourgeoise du Sud, personnifiée par Blur, s’en va défier le rock prolo et voyou de Manchester, incarné par des Gallagher parfaits en working-class heroes. Dans ce duel entre fils à papa et bad boys, on retrouve la guéguerre Beatles vs Stones. Mieux, on se remémore lesconflits entre mods et rockeurs. Blur a emprunté au mouvement mod ses codes esthétiques (Fred Perry, costumes étriqués), son patrimoine musical (Kinks, Jam) et ses légendes: l’acteur Phil Daniels, héros de l’opéra mod Quadrophenia des Who, interprète les couplets de Parklife. Côté Oasis, les Gallagher figurent des rockeurs sansfoi ni loi: Liam exprime son souhait de setaper Justine Frischmann quand

quiz En 1995, Pulp publie Different Class, album delaconsécration populaire porté par le single Common People. Complétez les paroles de Common People avec les mots manquants: SaintMartins, rum, loaded, Greece, Coca-Cola, sculpture. She came from …..........… she had a thirst for knowledge, shestudied …..........… at …..........… College, that’s where I caught her eye. She told me that her dad was …..........…, I said “In that case I’llhave a …..........… and …..........…”, she said “Fine.”

Noel, plus raffiné qu’un docteur ès origami, souhaite aux membres de Blur d’attraper le virus du sida et d’en crever. C’est Blur qui remportera la bataille des singles: 274 000 copies de Country House sont écoulées (contre 216 000 pour Oasis) en une semaine. La guerre, en revanche, sera gagnée par les Gallagher: leur (What’s the Story) Morning Glory ? deviendra le troisième album leplus vendu de l’histoire britannique. Johanna Seban illustration Stéphane Manel pour Les Inrockuptibles Summer of the 90’s jusqu’au 24août, tous les samedis et dimanches soir, Arte. Blur/Oasis –La guerre de la britpop de Philip Priestley, le 2 3août, 2 2 h 20

Réponse :

She came from Greece, she had a thirst for knowledge, she studied sculpture at SaintMartins College, that’s where Icaught her eye. She told me that her dad was loaded, Isaid “In that case I’ll have a rum and Coca-Cola”, she said “Fine”. La chanson dresse le portrait à l’acide d’une jeune fille debonne famille, étudiante dans le très huppé Saint Martins College of Art and Design, école d’art londonienne où sont notamment passés John Galliano, PJHarvey, Stella McCartney et Jarvis co*cker himself, désirant emprunter les codes et le mode de vie des “gens du peuple”, par rébellion et pour être “cool”.

l y a peu, Damon Albarn publiait un album solo montrant un visage apaisé et humble. Longtemps pourtant, l’ancien leader de Blur s’est livré à des batailles. La première l’opposa à Brett Anderson de Suede –en plus de lui voler la vedette, Albarn piqua à Anderson sa fiancée Justine Frischmann. La seconde bataille fit s’affronter Albarn et Kurt Cobain, l’Anglais présentant Blurcomme l’alternative confiante et patriotique à l’Amérique grunge et fragile de Nirvana. Mais la bataille la plus célèbre de l’histoire albarnienne reste celle qui opposa Blur à Oasis. Nous sommes en plein été 1995: à la rentrée, Blur et Oasis sortiront un nouvel album. Décelant dans ce calendrier lapossibilité d’un coup médiatique, les labels des groupes décident de publier les singles CountryHouse (côté Blur) etRoll with It (côté Oasis) la même semaine. Le 12août, l’hebdomadaire NME renchérit et fait se côtoyer Liam Gallagher et Damon Albarn en une, titrée d’un délicat “Championnat britannique des poids lourds”. L’impensable se produit: tandis que des rumeurs annoncent la préparation d’armes nucléaires par Saddam Hussein, tandis que les massacres se poursuivent en Bosnie, les médias du pays ne parlent plus que de la grande foire britpop. Chacun prend parti dans cette bébête guerre civile, souvent moins par affinité musicale que par appartenance sociale. Derrière la bataille des singles, c’est

Extrait de notre hors-série réalisé avec Arte, en kiosque tout l’été

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où est le cool ? par Géraldine Sarratia et Dafne Boggeri

au Mandrake, en sirotant un co*cktail Sur laCienega Boulevard, entre Venice et Washington Boulevard, ce bar est le repaire des artistes et de la scène néobohème de Los Angeles. Dans cet intérieur boisé mi-raffiné, mi-rustique, on sirote de délicieux co*cktails (comme le French 75, à base de gin, parfait) –le Twin Peaks de David Lynch et sa femme à la bûche ne sont pas loin. mandrakebar.com

à Nyon, au Far festival Chaque été, la petite ville de Nyon, au bord du lac Léman (Suisse), devient un point de rencontre transdisciplinaire et accueille avec une belle radicalité arts vivants, théâtre, danse… Cette année, on pourra y découvrir le travail de l’artiste suisse Yann Gross (photo), la nouvelle création du Barokthegreat, troupe de l’Italienne Sonia Brunelli, ou les performances barrées de Kate McIntosh. jusqu’au 23 août, festival-far.ch

dans ce sweat psychanalytique

plus de style sur les inRocKs Style style.lesinrocks.com

Ras-le-bol de l’été et de sa futilité ? Cette série de sweats créée par la fantastique DA espagnole Ana Mirats (également responsable de l’identité visuelle de Pull &Bear, Uterqüe, ou du magazine Paper Planes) apportera un peu de profondeur aux bords de mer. anamirats.com

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Yann Gross

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“je fais des films pour me venger” Son prix avec Godard, la reconnaissance et les critiques, sa passion pour la pop et ses nouvelles ambitions américaines: Xavier Dolan fait le bilan d’un début de carrière fulgurant. par Romain Blondeau photo Philippe Garcia pour Les Inrockuptibles

C

annes, 24 mai. Pour son cinquième film, le superbe mélo familial Mommy, Xavier Dolan reçoit le prix du jury, exæquo avec Adieu au langage de Jean-Luc Godard. La double récompense fait figure de symbole, réunissant le plus jeune cinéaste de la compétition et le plus âgé, deux personnalités hors normes, deux iconoclastes. Mais Xavier Dolan s’en tape: sur scène, ce soir-là, il n’aura aucun mot pour son illustre aîné suisse, aucune émotion ni fierté particulière à être couronné en même temps que le héros de la Nouvelle Vague. Il préfère s’exprimer au futur et profiter de la tribune qui lui est offerte pour s’adresser à sa génération. Le temps d’un discours à son image –plein d’emphase, de fougue, de naïveté et de force–, il éclipse toute la cérémonie et prend une nouvelle ampleur, devenant un peu plus qu’un “jeune prodige du cinéma québécois”: l’emblème d’une jeunesse qui entreprend, revendique et qui, dit-il, “rêve en couleurs”. Mais un emblème furtif: aussitôt la cérémonie terminée, Xavier Dolan annonce qu’il se retire momentanément

du cinéma, sur les conseils de son médecin. Affaibli physiquement, cramé par un début de carrière fulgurant initié en 2009 avec J’ai tué ma mère et poursuivi au rythme d’un film par an, le cinéaste frôlait le burn-out. Trois mois plus tard, à Paris, c’est pourtant un Xavier Dolan déjà rechargé que l’on rencontre, prêt à défendre Mommy dans la course aux oscars et engagé dans lapréparation d’un nouveau film, son premier en anglais, celui qui devrait confirmer son changement de statut. A seulement 25ans, le cinéaste nous a accordé un entretien-bilan, où il évoque son rapport à la pop, Godard, ses erreurs et ses détracteurs. S’y dessine le portrait d’un jeune homme paradoxal, à la fois mature et juvénile, grave et léger, arrogant et fragile. Un garçon moderne. Comment as-tu vécu l’après-Cannes ? Xavier Dolan– Tout a recommencé très vite en fait, avec les interviews, le travail, les voyages à NewYork, le doublage de films au Québec (il a doublé de nombreux films, comme le récent Godzilla d’Edwards –ndlr). Mais il y a eu un court moment délicat, quand tu rentres chez toi, que t’ouvres la porte de l’appartement, que tu désamorces le système d’alarme, et que le seul bruit

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Shayne Laverdiere

Antoine Olivier Pilon dans Mommy

que tu entends c’est le roulement des voitures, au loin. Ce silence, après tout le vacarme cannois, l’hystérie des fêtes et de la cérémonie, m’a plongé dans une angoisse instantanée. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé seul chez moi: mes amis étaient en voyage, ma productrice, Nancy, n’était pas là et je n’avais même plus mon chat. Le reality check n’a pas été très long mais j’ai eu du mal à supporter la solitude. Comment as-tu compensé, du coup ? Comme d’habitude, par la drogue et l’alcool ! Tu as un peu éclipsé la cérémonie de Cannes avec ton discours de remerciement. Dans quel état d’esprit étais-tu au moment de l’écrire ? Avais-tu l’intention de faire de la cérémonie ton événement ? Bon, d’abord, quand on écrit un discours, on ne sait jamais ce qu’on gagne, comme le veut la tradition cannoise. On reçoit un appel, notre présence est requise, ainsi que celle de toute l’équipe. Il y a eu un moment en revanche où l’on a compris qu’on n’était pas concernés par les prix d’interprétation, puisque les distributeurs se parlent entre eux et que ces prix étaient déjà confirmés pour d’autres films. Voilà tout ce que je savais. Ça voulait dire que je devais préparer un discours pour moi, pour mon film. Et à écouter les journalistes, à les lire, à entendre les rumeurs, je pensais que rien ne m’était interdit. J’avais en tête certaines choses que je voulais absolument dire. Je serais sur scène, avec Jane Campion, devant le monde entier, et je n’allais avoir cette chance qu’une seule fois dans ma vie,

en tout cas dans ces circonstances, devant ces gens-là, dans ce timing, à mon âge, à cette époque, m’adressant à cette génération précise. Peu importe la nature du prix, j’aurais dit exactement les mêmes choses. C’était pourtant très clairement un discours de victoire… Oui, je l’avais pensé pour un gros prix. Mais c’est unevictoire au final. Une très grande victoire. Quand je suis revenu à Montréal, comme je pouvais m’y attendre, les gens m’ont dit: “Ah mais vous n’avez pas eu laPalme d’or, c’est un échec, vous devez vous sentir mal.” Je leur répondais qu’on a tout gagné à Cannes: l’amour du public, l’amitié des journalistes –ce qui n’est pas donné, spécialement dans ce Festival, qui peut être un lieu de chance et de malchance pour un cinéaste. Et je n’oublierai jamais l’ovation le soir de la première, avec tous ces gens qui communient en même temps, qui pleurent ensemble. On a gagné, pas juste un pari, mais un moment d’éternité cette nuit-là. Hiérarchises-tu ces victoires, entre la réaction critique et celle du public ? Tout a une importance égale. Mais c’est très différent: le critique a un métier, le public a un désir, être diverti, ému. Ce sont deux communautés différentes. On aime à penser qu’un film pourrait plaire aux deux en même temps, mais ça n’arrive que très rarement. Avant, j’étais peut-être un peu désireux d’un soutien critique, je me disais qu’il me fallait comme

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“je fais des films quand ça me brûle, quand ça me consume trop de rester chez moi à me branler devant une photo de Jake Gyllenhaal” unadoubement de la part des gens dont le cinéma est le métier. Je me suis défait de cette idée qui empêche de travailler librement. Aujourd’hui, je suis plus sensible au public, j’ai envie que mes films marchent. Je n’ai pas pour unique objectif de faire desfilms pour que seuls ma mère, mon père, quatre pelés et trois tondus les voient, tu comprends ? Je ne veux pas m’adresser uniquement à la communauté cinéphile, qui reste hyper minoritaire. Penses-tu que ce désir va te conduire vers un cinéma plus populaire ? Oui, j’ai envie de populaire, et je crois que Mommy va très nettement dans ce sens. C’est un film qui respecte un schéma narratif très conventionnel, très américain, on pourrait dire d’ailleurs que c’est un film sur le rêve américain. J’ai voulu qu’il y ait de grands élans populaires, voire mercantiles, avec des séquences qui sont conçues pour plaire, pour émouvoir, pour donner de l’espoir, pour animer des foules. Je ne dis pas que c’est un film manipulateur, mais il a été pensé d’une certaine manière. Pas une manière cinéphilique, mais une manière populaire, pop. Il y a bien sûr des restes du cinéphile qui est en moi, et qui ne peut pas s’empêcher certains réflexes, certains tics, qui baignent peut-être le film dans une eau plus cérébrale. Mais je crois que c’est mon film le plus évident, le plus simple et efficace. (Il se lève brusquement lorsqu’il aperçoit au loin Marin Karmitz, le fondateur de la société MK2, qui distribue ses films en France. Il va le saluer puis revient dix minutes plus tard. “C’était papa.”) Pour en revenir au Festival de Cannes, ce double prix avec Godard, tu en penses quoi finalement ? Je ne dirais pas que je m’en fous, mais ça ne m’émeut pas du tout. Je sens beaucoup le concept derrière ce prix, l’idée de réunir deux personnes que le temps sépare mais que la liberté formelle réunit. Tout ça est très bien, ça fait un événement à Cannes, sauf qu’à mon sens c’est une association artificielle, car je me sens très loin de son cinéma. J’ai beaucoup d’admiration pour ce qu’il a été, pour l’importance qu’il a pu avoir à certaines époques, mais je n’ai aucune affection pour ses films. J’ai dû en voir un ou deux il y a quelques années, et puis j’ai abandonné. Si tu me demandes quels sont mes films fétiches,

je ne mentionnerai jamais un Godard. A l’inverse, je pourrais te parler des heures de mon attachement pour LaLeçon de piano, Uncœur en hiver, LeSilence des agneaux ou LeSeigneur des anneaux de Peter Jackson. Tu es conscient de la provocation qu’il y a à dire que tu préfères Peter Jackson à Godard ? Mais c’est la vérité. Je ne triche pas. Godard, ce n’est simplement pas mon genre. Au cinéma, j’ai besoin d’être ému, que ce soit par l’intelligence des gens, par leur sincérité, ou par le jeu des acteurs. Et il n’y a rien de tout ça chez Godard. Pour moi, il représente la liberté absolue, il fait des objets d’art libres avec beaucoup de jeux de mots. Je respecte ça mais permets-moi de m’en foutre aussi un peu. Je n’ai aucun mal à dire que je suis plus impressionné par LeSeigneur des anneaux que par Godard. Je repense au début du Seigneur des anneaux, au long trajet de Gandalf: ça doit durer près de vingtcinqminutes et il n’y a pas une seconde d’ennui. Pas un plan gâché, pas une fois où tu te dis que lacaméra n’est pas au bon endroit. Et les acteurs sont tous excellents, complètement investis dans cette histoire entre un tout petit garçon aux cheveux frisés et un vieux monsieur barbu. Hors contexte, on pourrait penser à une sorte de p*rno gérontophile, mais là tout marche pour une simple raison: Peter Jackson y croit. Je suis amoureux de cette idée du cinéma. Encore une fois, je ne dis pas que Godard est un nul, mais si j’avais gagné un prix avec Jane Campion par exemple, j’aurais été absolument incapable de parler sous le coup de l’émotion. C’est quelque chose que j’aime beaucoup dans ton discours, on a l’impression que tu n’as jamais été intimidé par les totems. Quand tu réalises LesAmours imaginaires par exemple, tu affirmes que tu n’as jamais vu un film de Wong Kar-wai ou d’Almodóvar. Et pareil avec Hitchco*ck pour Tom à la ferme… Parce qu’encore une fois, c’est la vérité ! Bon, pour LesAmours imaginaires, j’avais quand même vu lesfilms de Wong Kar-wai, auquel j’ai rendu un hommage idiot d’ailleurs, avec la même musique et les mêmes plans que dans IntheMood for Love. Je le regrette. Par contre, je ne connais rien du cinéma d’Almodóvar, j’ai seulement vu ses deux derniers films. Certains diront que c’est de la prétention mais je ne suis pas 20.08.2014 les inrockuptibles 23

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“on a toujours cherché à imposer des références particulières à mon cinéma, alors que tout vient de Titanic” obsédé par l’histoire du cinéma. On est factuellement des contemporains, et j’aime assez l’idée que l’on ne soit pas obligé de toujours se référer au passé, que l’on puisse avoir une certaine virginité. Je ne connaissais pas Hitchco*ck non plus avant de faire Tom à la ferme. Mais tu crois que je n’ai pas vu à la télé des thrillers psychologiques inspirés d’Hitchco*ck ? Il a laissé une empreinte dans l’imaginaire collectif et je n’ai pas pu y échapper. C’est juste le principe du téléphone arabe, leprincipe de la pop. Depuis, j’ai vu certains de ses films et je rêve maintenant de faire un remake de LaCorde ! D’où te viennent alors les idées de tes films, et certains choix plastiques ? C’est très simple: avant chaque film, je vais acheter plein de magazines de mode ou de photo à NewYork, dans une librairie à SoHo. Je prends une dizaine de livres que je rapporte au pays et je regarde ce qui m’inspire: la lumière, les cadrages, les couleurs. C’est comme ça que je prépare mes films. Pas en regardant ceux des autres. Pour Mommy, par exemple, la moitié des scènes, des éclairages, vient du travail de Nan Goldin. J’ai aussi mes instincts de cinéma, mes vraies influences: Titanic ; LaLeçon de piano ; Magnolia ; Batman, le défi ; Jumanji… Un ensemble de dixfilms complètement hétérocl*tes qui viennent de mon enfance. Mais je n’ai plus besoin de les revoir, ils sont en moi. Ils m’accompagnent sur chaque projet, à chaque instant. Je vais toujours réaliser une scène comme si elle était dans Titanic. Qu’est-ce qu’il y a de Titanic dans Mommy ? Mais il y en a partout ! Dans des virgules, des ralentis, des rires volés à Kate Winslet, des regards volés à Leonardo DiCaprio. Sauf que je ne fais jamais ces scènes de manière consciente, ou intentionnelle, ce sont des inspirations qui me hantent. On a toujours cherché à imposer des références particulières à mon cinéma, alors que tout vient de Titanic. Je suis heureux par contre parce que pour la première fois, au Festival de Cannes, des journalistes ont parlé de Mommy à l’aune de mes précédents travaux. Ils comparaient le film à Laurence Anyways, ou à Tom à la ferme, et non plus à tel ou tel autre cinéaste. C’était ton intention de départ ? Créer une œuvre ? Devenir un auteur à part entière ? J’ai l’impression d’avoir maintenant ce que l’on pourrait appeler une œuvre en effet. Mais ça n’a jamais été une priorité par contre, ou un défi. Tout est beaucoup plus instinctif: je fais des films quand ça me brûle, quand ça me consume trop de rester chez moi à me branler devant une photo de Jake Gyllenhaal.

Comment pourrais-tu la définir, cette œuvre ? Quels en seraient les quelques repères ? Disons que dans le corpus de cinq films qui existe actuellement, il y a un élément qui revient toujours: lafigure maternelle en position de révolte. En révolte par rapport à la société, à son entourage, au rôle demère qu’on lui a imposé… C’est un motif auquel je suis sensible, parce que je pense que je fais des films pour me venger, pour venger les gens que j’aime, donc ma mère. Ensuite, il y a l’idée d’un amour impossible qui traverse chacun de mes films, d’un amour qu’on pourchasse, qu’on persécute, jusqu’au “non” définitif. Il y a aussi les ralentis, les scènes de crise –ça, je ne peux pas m’en empêcher– et surtout la musique, qui joue un rôle fondamental. Tout commence toujours par la musique. J’ai écrit le scénario de Laurence Anyways après avoir entendu une chanson à la radio, en l’occurrence Let’s Go out Tonight de Craig Armstrong. Je savais que le film se terminerait là-dessus. Mon pari, désormais, c’est d’arrêter de jouer ma propre playlist et d’aller vers un usage de la musique diégétique. Pauline Kael disait qu’elle était fan de Scorsese et de Coppola parce que c’était une génération de cinéastes qui révolutionnait le rapport à la musique en faisant jouer les chansons à la radio, dans les bars, dans la rue, et non pas sur le film. J’ai essayé de faire ça dans Mommy, en laissant les personnages seuls maîtres de la musique. Dans la BO de Mommy, il y a carrément du Céline Dion. Quel est ton rapport à la chanteuse ? J’ai grandi avec Céline Dion ! Là, récemment, sur Instagram, les gens ont découvert une lettre de fan que j’avais écrite à 8ans à Leonardo DiCaprio au moment de Titanic. Mais j’en avais aussi écrit une à Céline. Ma mère écoutait ses albums, je t’assure qu’il y a quelques belles chansons dans son œuvre… En tout cas tu n’en fais pas un usage ricanant dans Mommy. Et c’est une constante dans tes films: tu as un rapport très premier degré, très pur, à des objets pop culturels pas forcément prestigieux… C’était l’écueil monumental à éviter avec Mommy: rire de Céline Dion, donc rire de mes personnages qui l’écoutent sincèrement. Le film évoque une strate sociale populaire, et je ne devais surtout pas laregarder de travers ou de biais, il fallait que je sois avec eux. C’est toujours un peu suspect, les artistes qui s’aventurent dans des milieux défavorisés. On a l’air d’être un aristocrate qui a une opinion toute faite sur une réalité qu’on ne connaît pas. Il n’y a rien de pire que ces cinéastes qui filment un monde

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la galaxie Dolan Producteurs, parents, amis, acteurs: ils forment depuis des années l’entourage rapproché de Xavier Dolan, et participent à leur échelle aux créations du cinéaste.

Odile Tremblay, critique de cinéma

Julie Artacho

Nancy Grant, productrice

Benoit Linero

populaire comme s’ils allaient en safari dans la jungle. Mais je ne me sentais pas illégitime puisque je connais lespersonnages de Mommy: c’étaient mes voisins, j’ai grandi à leurs côtés, j’ai partagé leurs rires, leurs souffrances. J’aime leurs idées et je comprends tout à fait leur affection pour Céline Dion. (Il s’interrompt alors que son téléphone sonne et se lève pour lire un mail. Puis il revient, très fébrile.) Une bonne nouvelle ? Oui, je vais rencontrer dans quelques jours une actrice pour mon prochain film. Mon actrice préférée… Qui e st... ? Je ne peux rien en dire, désolé. Donc si je comprends bien, tu ne fais pas de pause avec le cinéma, comme tu l’avais laissé entendre au Festival de Cannes… J’ai dit que je voulais retourner aux études, mais c’est compliqué en réalité parce que je dois faire lapromotion du film et je dois m’y investir à fond en vue de la campagne pour la saison des Awards. Mommy peut être le film qui représentera le Canada pour lesGolden Globes et les oscars, donc je dois rester dans le circuit. Mais je n’avais pas dit ça en l’air, et c’est un regret. J’avais envie de nouveauté, d’apprendre autre chose, d’être avec des gens de mon âge, d’aller me défoncer la gueule avec eux dans des bars, d’étudier jusqu’au petit matin. Ce n’était pas par “hipstérisme”, ou par tourisme, mais parce que je ne l’ai jamais vécu, je ne suis jamais allé à l’école. J’ai arrêté à 17ans et j’ai eu une éducation de merde. Je devais aussi à un moment faire un break, je ne me sentais pas l’énergie de faire un nouveau film. Il fallait que je m’isole, que je le dise publiquement. Si j’ai présenté très tard mon film à Cannes, ce n’était pas pour faire ma diva mais parce que mon docteur m’avait mis au repos. Il m’a dit: “Tu prends deux semaines maintenant, ou si tu attends ce sera huit mois.” Je n’avais plus de forces. Ce nouveau film dont tu parles, s’agit-il du projet américain sur lequel tu travaillais avant Mommy: TheDeath and Life of John F.Donovan, sur l’histoire d’une star impliquée dans un scandale sexuel ? Oui, c’est mon projet le plus ambitieux, celui qui nécessitera le plus de préparation. Je pense qu’il sortira dans deux ou trois ans. Ce sera un projet en anglais mais je ne quitterai jamais le Québec. Si je veux travailler aux Etats-Unis, avec les studios, ce n’est pas pour prendre du volume, de l’importance, pour devenir un réalisateur star. Je m’en fous de ça. Si je vais aux Etats-Unis, c’est pour leurs acteurs.

Xavier Dolan l’a dit et répété en interview: il doit beaucoup de sa formation intellectuelle à la sœur de sa belle-mère, Odile Tremblay, critique de cinéma au quotidien québécois LeDevoir. Le cinéaste a 15ans lorsqu’il la rencontre, sa carrière d’acteur peine à décoller, et il vient d’abandonner l’école. “Il était curieux de tout, confia la journaliste à Libération en 2012. On allait au théâtre, on lisait de la poésie, on parlait cinéma, littérature. On s’est tombé dans l’œil, comme on dit.” Et ils ne se sont plus jamais quittés.

Via la société Metafilms, qu’elle dirige avec Sylvain Corbeil, Nancy Grant est l’une des figures émergentes du cinéma québécois, et collabore avec quelques-uns des plus passionnants artistes locaux (Denis Côté, Anne Emond). Elle est entrée dans le clan Dolan en 2012 en tant que productrice exécutive de Tom à la ferme, puis du clip pour Indochine, College Boy. Mommy est le premier film –et le plus cher– qu’elle a produit entièrement avec Xavier Dolan. Sûrement pas le dernier.

Marin Karmitz, fondateur de la société MK2 Il l’appelle ironiquement “papa”. Marin Karmitz est le bienfaiteur de Xavier Dolan. Fondateur de la société MK2, dont il a cédé en 2005 la direction générale à son fils, Nathanaël, il est le plus fidèle relais du Québécois en France, distributeur ou

coproducteur de ses films depuis LesAmours imaginaires. Et qu’importe les échecs (Laurence Anyways: à peine plus de 100 000entrées en France), les deux hommes ont noué une relation de confiance qui a permis au cinéaste de débuter dans les meilleures conditions.

Suzanne Clément, Anne Dorval, actrices Elles sont les plus proches actrices et amies du cinéaste, ses muses diront certains. Deux femmes auparavant peu connues du grand public français, qui ont débuté dans les années80-90 à la télévision québécoise, au théâtre ou dans des films mineurs, et qui ont très vite attiré l’œil de Xavier Dolan. Des Amours imaginaires jusqu’à Mommy, elles ont incarné des premiers ou seconds rôles de femmes à la fois maternelles, aimantes, séductrices, et toujours du côté de la jeunesse. Des héroïnes dolaniennes.

André Turpin, chef opérateur Figure discrète de la galaxie Dolan, le réalisateur, scénariste et directeur de la photographie québécois André Turpin, qui a auparavant travaillé avec Denis Villeneuve (Incendies), ne joue pas moins un rôle fondamental dans l’évolution du jeune cinéaste. Chef opérateur de ses deux derniers films et du clip d’Indochine, c’est lui qui a accompagné les nouvelles expérimentations formelles de Xavier Dolan et qui lui a fait découvrir le format d’image carrée 1:1 qui donne à Mommy toute sa singularité, son style audacieux et ultrapop. RomainBlondeau 20.08.2014 les inrockuptibles 25

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Pour travailler avec ces gens qui font du cinéma depuis leur enfance, qui ont intégré les codes de l’industrie, et sont hyper compétents. Je sais bien aussi que je n’ai pas le choix pour toucher un plus large public. Te verrais-tu réaliser un film de superhéros ? J’adorerais ça. Faire un Thor par exemple ! Je veux d’ailleurs faire mon prochain projet comme un film de superhéros. Il est d’ailleurs pensé et sera réalisé comme tel, mais avec un sujet quotidien, sur la vie d’une star. J’ai prévu de me taper tous les Batman de Christopher Nolan pour la préparation. Il y a deux ans, dans Libération, tu déclarais: “Je veux entrer dans une sorte de panthéon (…) Etre le plus jeune Québécois à entrer dans le catalogue de rêve.” Penses-tu y être parvenu ? Je n’ai jamais employé ces termes. Cet article m’a fait très mal. C’est comme lorsque Laurence Anyways a été sélectionné à Cannes à Uncertain regard, et que des journalistes disaient: “Il a hurlé son mécontentement, il a pleuré car il voulait être en sélection officielle.” Ce sont des mensonges. Des gens ont monté cette affaire en épingle, ils ont préféré ce mensonge imaginaire à une vérité assez banale, celle d’un gars sincère qui dit: “Oui, je suis déçu, car tout le monde disait que je pouvais aller en compétition, mais je suis honoré d’aller à Uncertain regard.” La reconnaissance ne m’obsède pas mais j’ai des ambitions, des rêves, et je l’assume. Quand je vois les gens aux oscars, ils disent souvent: “Oh I thank you so much, I come from a small town but I had big dreams.” Moi, je viens d’une grande ville, qui offre tous les moyens pour s’exprimer, pour grandir, pour s’affranchir, sauf que l’on rêve petit. Il y a même une expression pour ça au Québec: on dit “être né pour un petit pain”. Pendant très longtemps, sous l’influence de l’Eglise, l’ambition a été proscrite chez nous. On a encore parfois ces vieux réflexes mais heureusem*nt les choses bougent peu à peu, grâce à Dieu ou à quelqu’un d’autre. “A quelqu’un d’autre.” Tu veux dire toi ? Je parle de la jeunesse en général, dont je suis une des voix. Parfois, je rencontre des gens plus âgés qui me disent: “Bravo, continue comme ça. Nous, dans notre enfance, on nous disait d’arrêter de rêver en couleurs, mais toi tu oses.” J’ai envie de briller en tant que Canadien. Et j’imaginais être le premier Québécois à remporter la Palme d’or, pour la ramener à la maison et dire aux jeunes de mon âge: “Voilà, on peut.” Mon discours à la cérémonie s’adressait à ma génération. Je voulais aussi envoyer un message à ces conservateurs qui n’arrivent pas à comprendre le rôle de la culture au Québec ni l’importance de son financement. A tous ceux qui voient les artistes comme des losers

“il n’y a rien de pire que ces cinéastes qui filment un monde populaire comme s’ils allaient en safari dans la jungle”

qui vivent aux crochets de l’Etat comme des parasites sur les couilles d’un mendiant. Leur montrer qu’ils se trompent. As-tu conscience que ce genre de discours participe aussi à l’image de “tête à claques arrogante” que tu peux avoir auprès de certains ? Ce qui m’ennuie, c’est lorsque les journalistes n’aiment pas mon film pour des raisons intimes. Dès que l’on a un peu de notoriété, on devient une propriété publique et les gens se mettent à délirer sur votre personne sans même vous connaître. Ils ont dit “tête à claques”, “narcissique”, “pédant” ou “pédé”. Que veux-tu que je réponde à ça ? Je ne peux que continuer à travailler, à avancer, pour arriver à m’en beurrer complètement la bite. Je ne peux pas cacher que c’est dur, puisque je lis tout ce qui s’écrit sur mes films. Tout. Sur Twitter aussi, je me fais insulter, et je réponds parfois violemment quand je ne supporte plus. Mais ce n’est pas très grave au final, surtout en comparaison des signes d’affection qu’on a reçus depuis le Festival de Cannes. Il y a une minorité de gens qui ne m’aiment pas, mais lorsque je vois que l’on me parle de mon discours partout où je passe, jusqu’à Stockholm, à Istanbul, ou à Paris, je me dis que certaines personnes sont réceptives aux messages que j’envoie. C’est le plus important. Dans une interview accordée à la sortie des Amours imaginaires, tu disais que les médias t’appelaient “lejeune cinéaste du moment”, mais que tu finirais forcément par être remplacé. Est-ce une source d’inquiétude, le vieillissem*nt, pour un cinéaste qui a débuté aussi tôt, et dont la jeunesse fut l’une des grandes forces ? Pas du tout, je ne crée pas avec mon âge. J’ai l’intention de me renouveler à chaque film, et j’espère bien avoir encore des choses à dire à 30ans. Mais je suis incapable de m’imaginer où je serai à cet âge-là. Peut-être que j’aurai pris une tout autre direction. Peut-être que je serai devenu ministre. Mommy de Xavier Dolan, avec Anne Dorval, Antoine Olivier Pilon, Suzanne Clément (Can., 2014, 2 h 19), en salle le 8octobre 20.08.2014 les inrockuptibles 27

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premier round Thomas Cailley aime les frères Coen et Les Simpson, Elia Kazan et Bruno Dumont. Son premier long métrage, Les Combattants, a électrisé Cannes. par Serge Kaganski photo Audoin Desforges pour LesInrockuptibles

A

Cannes, LesCombattants a eu quatre prix, explique un Thomas Cailley qui n’en revient pas encore. Ce Festival est une machine à laver où tout se joue en quelques heures. La Quinzaine me plaisait parce qu’il y a aussi un vrai public. C’était la première projo pour l’équipe, la première projo publique, et bing ! ensuite une batterie d’interviews avec la presse française et internationale… C’était dingue.” Ainsi bascule parfois le destin d’un film et de son auteur, de l’ombre à la lumière. Volubile, cash, nature, direct, Thomas Cailley fait néanmoins l’effet d’un jeune homme étanche aux paillettes et aux sirènes de la gloire, un gars plein de fraîcheur, très articulé mais dénué d’esbroufe, un authentique gourmand de cinéma qui sait ce qu’il veut. Quand il parle des Combattants, on sent bien que le film correspond à ce qu’il projetait au départ et qu’il a peu ou prou maîtrisé debout en bout. “J’avais envie de mêler le trivial et l’existentiel.

Je regardais les émissions de survie de la téléréalité, notamment celle où un ex-officier se fait parachuter dans des coins invraisemblables. C’est à la fois dérisoire et sublime, comme si la survie était un truc au-dessus de la vie.” La Madeleine des Combattants vient un peu de là: jeune fille à la fois rationnelle et délirante qui se prépare à rien moins que la fin du monde, personnage moteur d’une œuvre qui surprend sans cesse et déjoue toujours ses prémisses de film social sur la jeunesse deprovince. “C’est unvoyage et on est avec lespersonnages, à hauteur de leur regard. Chaque fois qu’ils changent d’univers, on les accompagne. Je n’avais pas de principe de mise en scène défini àl’avance. On a tourné chronologiquement, laforme a évolué au fil del’histoire, les couleurs sont passées du bleu aurouge… Le film a avancé defaçon organique, avecles personnages. Leréalisme est pour moi un socle qui permet d’aller vers la fiction, mais n’est pas lesujet. Ce qui

m’intéresse, c’est quand l’imaginaire prend le dessus.” Autre aspect saillant du film, soninversion des codes masculin/féminin, puisque c’est Madeleine qui mène l’affaire et attire le garçon dans sa zbeule. “Lesstéréotypes où c’est l’homme le héros qui fait tout, ça vient des codes ducinéma, pas de la réalité. Jeconnais plein de couples autour de moi où c’est lafille qui est le moteur. Ilexiste plein de façons de s’inventer en tant que couple, en tant qu’individu, qui sont encore sousexploitées dans la fiction.” Le casting est évidemment une clé majeure de la réussite du film. Thomas avait vu tous les films d’Adèle Haenel, aimait son énergie, son corps sportif. En la rencontrant, il a découvert aussi qu’elle était drôle, ingrédient important pour que lespectateur ne rejette pas la dure Madeleine. Entente vite pliée entre Adèle et Thomas. PourKévin Azaïs, ce fut plus sinueux. Prévu audépart pour un rôle secondaire, Azaïs est finalement apparu comme

un Arnaud évident: “En apparence, il a un truc très contemporain, il parle vite, il est nerveux, tatoué, piercé, sauf que quand on apprend à le connaître, il dégage quelque chose de très différent, très doux, très généreux, trèsdisponible, toujours prêt à rendre service.” Thomas Cailley aussi parle très vite, et très limpidement. A 34ans, ila déjà un parcours assez dense derrière lui, qui estpassé par Sciences-Po Bordeaux puis par un job de producteur junior de documentaires télévisés pendant quatreans. Quand son frère aîné plaque son boulot de prof de physique pour apprendre le métier de chef opérateur à l’école Louis-Lumière (c’est lui qui officie dans LesCombattants), c’est undéclic pour Thomas, qui décide de tenter laFémis. “A 26 ans, poursuit-il, j’étais en mode bulldozer, motivé à fond. Ala Fémis, on ne fait qu’écrire desscénars pendant quatreans, je m’ysuis consacré à pleins tubes, çadésinhibe

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“la dérision n’a pas de place dans la comédie”

marquante et récente: “P’tit Quinquin, c’est monumental, un ovni, j’en avais des crampes de rire en sortant. Et Dumont règle la question du regard sur les personnages en troisminutes: c’est d’une douceur et d’une empathie incroyables, sans aucun mépris, contrairement à ce qu’on dit parfois de lui. C’est comme Apatow, cesont des cinéastes qui montrent que la dérision n’a pas de place dans lacomédie.” En remportant quatre prix viala Quinzaine desréalisateurs, lejeune cinéaste peut bien être un peu perché. Cannes, mai 2014

énormément.” Le ciné, ça lui est venu ado, période où il confesse qu’il regardait “tout et n’importe quoi”, ses nourritures en images mouvantes allant desblockbusters aux films d’auteur, des séries télé aux sériesZ, deLaFureur de vivre à Point Break en passant par LesSimpson. Cinéphage compulsif, il devient plus

tard cinéphile, apprend àrepérer les récurrences de tel ou tel cinéaste, affine son regard sur le récit et la mise en scène. “Quand j’ai découvert Sangpour sang des Coen vers 1997, ça a été unchoc: du coup, j’ai mieux compris Fargo, TheBig Lebowski, jevoyais ce quime faisait rire chez eux, comment ilspartaient d’un ancrage réaliste pour mieux

dériververs la fiction, l’imaginaire. Kazan est important pourmoi, Spielberg, moins naïf qu’il en a l’air, Pialat… LaMaison des bois, c’estun truc extraordinaire, L’Enfance nue, pfff, quandj’ai vu ça, jeme suisdemandé comment j’avais fait pour passer à côté avant.” Parmi ses contemporains, Bruno Dumont constitue sadécouverte la plus

Thomas Cailley, à l’instar de Dumont, est en train d’écrire une série pour Arte. Ensuite, ils’attellera à l’écriture du prochain long, peut-être en développant un de ses travaux de la Fémis. On le sent bouillonnant deprojets et d’énergie, mais sans l’ombre d’une enflure de cheville: “Avec mon frère, mon équipe, mes comédiens, on estdela même génération etc’est magnifique de sedire qu’on va grandir ensemble dans le cinéma.” Thomas Cailley, battant mais pas con. Loin de là. lire aussi la critique p. 64 20.08.2014 les inrockuptibles 29

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“je ne suis pas dupe” Kristen Stewart, 24ans mais déjà dix ans de métier, fait ses premiers pas dans le cinéma d’auteur européen grâce au Sils Maria d’Olivier Assayas. Entretien avec une actrice très à l’aise dans son statut de star. par Jacky Goldberg photo Audoin Desforges pour LesInrockuptibles

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es assistants en pagaille, deux attachées de presse, un garde du corps, une maquilleuse, un cameraman filmant ses faits et gestes: c’est entourée de cette armada, marchant à vive allure, que Kristen Stewart se présente à nous. Très loin de l’image de jeune femme hésitante popularisée par Twilight, “K-Stew” sembleextrêmement sûre d’elle, presque intimidante. Dans Sils Maria, Olivier Assayas se joue de son statut de star et lui fait interpréter l’assistante personnelle d’une autre star, Juliette Binoche. Lumineuse et pragmatique, elle navigue admirablement dans les entrelacs théoriques du film, s’offrant un joli trip, first class, dans le cinéma d’auteur européen, douzeans après sa première apparition dans Panic Room de David Fincher. Entre deux jets privés, elle nous a parlé de cette expérience, aussi exotique qu’exaltante. Avez-vous le sentiment que cela change quelque chose pour vous, en tant qu’actrice, de jouer dans Sils Maria d’Olivier Assayas ? Kristen Stewart – Hmmm… Non. Avrai dire, à part les cinq épisodes

de Twilight, je n’ai fait que des films très différents les uns des autres, et tous ont changé quelque chose. Je suis très heureuse d’avoir joué dans Sils Maria, mais ce n’est pas une exception. Le fait d’être sélectionné à Cannes, pour la première fois, ça n’a pas une saveur particulière ? Oh, si vous parlez de ça, oui, bien sûr, c’est génial. Aux Etats-Unis, ona Sundance et quelques autres bons festivals, mais pour ce qui est de lacinéphilie pure et dure, c’est ici que ça se passe. Depuis que j’ai 10ans, je travaille dur, je m’investis totalement dans mon métier d’actrice et je vis cette sélection non comme un aboutissem*nt mais comme une grande reconnaissance. Vous allez beaucoup au cinéma ? Ça dépend vraiment. Quand je ne tourne pas, je peux m’enfermer chez moi et voir cinq films par jour. En ce moment, je tourne donc je n’ai pas le temps. Maisje n’ai pas une connaissance encyclopédique du cinéma en tout cas. Vous tournez quoi en ce moment ? Je tourne en Louisiane un film qui s’appelle American Ultra, avec JesseEisenberg. C’est un mix d’action et de comédie, un film un peu étrange, presque surréaliste, qui, je l’espère, devrait être assez drôle.

C’est la deuxième fois que vous retrouvez Jesse Eisenberg, après Adventureland. C’est un film intéressant, pourtant il n’a pas été très bien distribué… Merci ! Je suis fière de ce film, Greg (Mottola –nldr) est un cinéaste très sensible. Et oui, c’est un immense plaisir de jouer à nouveau avec Jesse. Vous connaissiez bien le cinéma d’Olivier Assayas avant de le rencontrer ? J’avais vu Carlos et… son précédent film avec Juliette Binoche, dont je ne saurais prononcer le titre (L’Heure d’été –ndlr), à leur sortie aux Etats-Unis, maisc’est tout. J’avais été frappée par leur intégrité artistique, que j’ai pu vérifier en travaillant avec lui. C’est rare de trouver un réalisateur aussi intègre. Surtout aux Etats-Unis. Oliviern’a que son désir en tête. Il ne voit pas les choses en termes de marketing, ilne pense pas aux recettes que le film devra engendrer. Il est concentré sur son film, ses acteurs, rien d’autre. Comment se comportait-il sur le plateau ? “He’s f*cking badass” (c’est un putain de tueur) ! Il contrôle tout et, enmême temps, il est très relax. Samain… vous voyez (elle fait le geste avec la sienne), c’est comme s’il tenait tout ensemble, 20.08.2014 les inrockuptibles 31

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rentrée cinéma “cette célébrité et toute cette hystérie autour de moi ont été excessives. Aujourd’hui encore, j’en paie le prix”

fermement, sans rienlaisser échapper, mais sa main est détendue, jamais crispée… Je n’avais jamais vuça auparavant. Sur le plateau, on n’avait pas besoin de discuter des heures. Ilnous laissait relativement libres avec Juliette, on pouvait apporter ce qu’on voulait, mais à la fin, il se débrouillait toujours pour nous ramener à sa propre vision des choses. Voilà comment jerésumerais sa méthode: ilinstalle tout méthodiquement et ensuite il laisse aller. C’est presque comme du théâtre: de très longues prises qui semblent nejamais finir. C’estrare, et très cool. Vous avez la réputation d’aimer l’improvisation, Assayas vous y encourageait-il ? Oui, complètement. J’apprends montexte mais je ne suis pas du genre ày coller à la virgule près ou à répéter la scène cent fois avant de la jouer. Ça convenait très bien à Olivier et à Juliette, qui m’ont même encouragée dans cette voie (elle marque une pause). Pour être honnête, je crois qu’ils étaient un peu déstabilisés au début, et moi aussi d’ailleurs. Ilm’a fallu une bonne semaine pour m’habituer

au style d’Olivier, qui donne très peu d’indications. A Hollywood, onest parfois dirigé au millimètre: “Dis cette phrase, mets-toi là, marque une pause, retournetoi de 12°.” Or je trouve que ça tue la spontanéité. J’aime quand l’émotion jaillit sur le moment. Et Juliette Binoche, comment était-elle avec vous ? Avec moi ? Adorable. Elle a une énergie dingue. C’est une centrale électrique. Elle est très excentrique et en même temps, elle n’est pas du genre à se mettre dans tous ses états pour un rien, vous voyez ce que je veux dire. Elle ne se contente pas de pontifier, comme le font tant d’acteurs qui parlent des heures deleur métier, de leur carrière, de leur technique et qui, une fois que le metteur en scène a dit “action” vous sortent l’interprétation la plus banale que vous ayez jamais vue… Non, Juliette, elle, met en application sa philosophie. Elle est un peu comme Olivier au fond: ce qu’elle donne ne ressemble jamais à un produit. C’est un terme hyper galvaudé mais c’est celui qui la décrit lemieux je trouve: elle est réelle.

Avec Twilight, vous vous êtes vous-même retrouvée dans ce statut de produit hyper marketé. Comment l’avez-vous vécu ? Pas très bien. Jecommence à avoir un peu de recul désormais et je me rends compte quecette célébrité et toute cette hystérie autour de moi ont été excessives. Aujourd’hui encore, j’en paie le prix. Je suis suivie continuellement par des paparazzi, on décortique ma vie dans les tabloïds… Croyez-moi, ce n’est pas très agréable, mais je dois faire avec. Sils Maria est justement une réflexion sur le métier d’actrice et sur la célébrité. Vous y avez retrouvé des liens avec votre q uotidien ? Oui, même s’il s’agit d’une composition. Disons que le film est tombé à point nommé pour me permettre de prendre du recul sur toutça. C’estune façon pour moi de dire que jene suis pas dupe. Vous connaissez ce “cirque”, comme vous dites, depuis que vous avez 10ans. Vous trouvez qu’il a beaucoup changé ? Hmmm… pas tellement, non. Bien sûr, il s’est intensifié pour moi. Internet et les réseaux sociaux –où je vais peu– ont changé le rapport qu’on a avec le public et les journalistes mais, globalement, ce sont les mêmes règles. Quand vous aviez 10ans, quels étaient vos modèles, les gens qui vous ont donné envie de faire ce métier ? En premier lieu, Jodie Foster, avec qui j’ai travaillé sur Panic Room. Elle a énormément compté pour moi. Je la voisencore de temps en temps et elledemeure un modèle. A part elle, Catherine Keener m’inspire. Plus récemment, Amy Adams est une des meilleures, je trouve… Et Cate Blanchett, évidemment ! Avec qui rêveriez-vous de tourner désormais ? Je vais faire une réponse très classique: Scorsese. lire aussi la critique de Sils Maria p.60

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Dorothée Smith, courtesy Galerie Les Filles du Calvaire

Samuel Theis, Claire Burger et Marie Amachoukeli. Paris, juillet 2014

les funambules Trois jeunes cinéastes, Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis, portent un regard tendre sur une sexygénaire. Résultat: une Caméra d’or à Cannes et de nombreuses récompenses au gré d’autres festivals pour Party Girl, premier long métrage entre fiction et réalité. par Jean-Baptiste Morain

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ean-Luc Godard a dit un jour qu’il fallait être deux pour faire un film –ajoutant que les frères Lumière s’étaient mis àdeux pour inventer le cinématographe. Le cinéma serait donc dialectique. Etl’on connaît effectivement des couples de cinéma (les Huillet-Straub, Godard/Miéville sur certains films), etsurtout des frères (Taviani, Dardenne, Larrieu, Farrelly, Wachowski, etc.). Certains cinéastes ont tellement l’air de faire couple avec leur scénariste, leur chef op ou leur acteur/actrice, qu’ils semblent indissociables (Carné/Prévert, Sautet/Dabadie,

Sternberg/Dietrich, Truffaut/Léaud, etc.). Les metteurs en scène de Party Girl ont donc ceci d’original qu’ils sont trois. Et d’annoncer haut et fort qu’ils le sont à égalité. Qu’ils étaient partout surletournage, à tous les postes, indifféremment, sansqu’aucun ne s’arroge le pouvoir sur les autres. Que, certes, ils s’engueulèrent beaucoup, mais que c’est de cet équilibre tripode qu’est né leur premier et beau film, Party Girl, prix d’ensemble Uncertain regard et Caméra d’or à Cannes cette année. Que les techniciens, qui aiment bien n’avoir qu’uninterlocuteur, avaient heureusem*nt déjà travaillé avec eux surForbach. Forbach ? Flash-back.

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Dorothée Smith, courtesy Galerie Les Filles du Calvaire

ils s’engueulèrent beaucoup, mais c’est de cet équilibre tripode qu’est né leur premier et beau film Claire Burger et Samuel Theis sont tous deux originaires de la ville frontalière de Forbach, enMoselle. Nés à la fin des années70, ils font connaissance à 18ans. “Par l’hom*osexualité”, précise Claire, avec un rire qui fait plaisir à entendre. Lecinéma, pour eux, c’est surtout le cinoche, ou latélé. Claire travaille comme journaliste dans unetélévision locale. Samuel anime un atelier théâtre. Elle rêve de mieux, de pouvoir montrer le monde quil’entoure différemment. Un jour, les deux amis s’installent à Paris ensemble, dans un petitappart. Comme dans un rêve, ils réussissent les concours qu’ils passent: Samuel intègre l’Ensatt (l’Ecole nationale supérieure des arts et techniques du théâtre de Lyon), et Claire la Fémis au département montage. C’est là qu’elle fait la connaissance de Marie Amachoukeli, élève en scénario dans la promo précédente. Ellestombent amoureuses l’une de l’autre. Forbach est le titre du premier film réalisé par Claire Burger, mais Marie et Samuel y participent de près. Marie en tant que scénariste. Samuel parce qu’elle le filme lui, et surtout sa famille, notamment son frère. Forbach raconte le retour imaginaire de Samuel dans sa ville natale, qui désire luiremettre une médaille. Claire affirme d’emblée l’endroit où se situera son cinéma (et elle dit aujourd’hui ne pas vouloir en bouger): à la frontière dudocumentaire et de la fiction. Dès ce premier essai, en partant de personnages existants, mais qui ne sontpas acteurs de métier (en dehors de Samuel), eten s’inspirant de leur vie, il s’agit de raconter unefiction. Jeu délicat. Dangereux. Délicat car il ne faut nitrahir ni embellir ceux qu’elle filme. Dangereux par l’effet que pourrait avoir ce jeu surleurvie réelle: quelle image va renvoyer d’eux lefilm, non seulement au public, mais à eux-mêmes ? Mais Claire et ses deux collaborateurs, très conscients de ce qu’ils font, trouvent le juste équilibre. Forbach remporte le deuxième prix de la Cinéfondation àCannes en 2008 et le Grand Prix au festival deClermont-Ferrand en 2009. Puis Claire et Marie réalisent un film ensemble, sansSamuel: C’est gratuit pour les filles. L’histoire d’une fille dont les ébats avec un garçon se retrouvent “parhasard” sur le net… La méthode expérimentée avec Forbach demeure la même: des acteurs nonprofessionnels, et la Moselle. La violence des relations entre les garçons et les filles, leurs difficultés à communiquer. Cette fois-ci, les deux coréalisatrices

remportent plusieurs prix, dont le César du court métrage en 2010. Claire et Marie en ont bien conscience aujourd’hui: sans ces prix, elles n’auraient sans doute jamais réussi à produire leur film suivant etpremier long métrage. Pendant ce temps, Samuel aura travaillé comme acteur ici et là (destéléfilms, un Tavernier) et mis en scène Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce. Bientôt, il retrouve le couple de filles, pour Party Girl. Il s’agit ànouveau de filmer sa famille, samère plus précisément, entraîneuse dans un bar allemand. D’uncommun accord, les trois amis seront donc auteurs à part entière et à égalité du film. Ecriture longue et difficile en trio, mais ça fait partie du boulot. Sur le tournage, si l’un des trois n’aime pas un plan, on le tourne à nouveau. Si les trois sont d’accord, on le garde. Une équipe de choc, qui a écrit tous les dialogues, “sur mesure” pour les interprètes du film qu’ils connaissent désormais très bien. Mais pas de fétichisme. Si un acteur ne parvient pas à prononcer une réplique, il peut l’adapter, à condition que certainséléments soient bien formulés. Seulement, pas question de s’égarer, le film doit durer une heure et demie, il a un début, un milieu et une fin. Les acteurs travaillent sans marque au sol, ils peuvent aller et venir comme ils le veulent. Le cadreur et le preneur de son n’ont qu’à se débrouiller (“ça donnait parfois des ballets magnifiques”, explique Marie, pleine d’admiration pour ses techniciens). Ils sont habitués, depuis Forbach… C’est donc sur un fil très fin que repose tout l’équilibre du film: entre réel et fiction, évidemment, mais surtout entre rigueur du récit et liberté desacteurs. La place laissée à l’improvisation pure estenréalité très limitée (comme ça l’était chezCassavetes, on le sait aujourd’hui). Un travail de cinéma beaucoup plus élaboré qu’on pourrait le croireau premier abord, et qui s’apparente presque à du funambulisme, ou même à de l’ébénisterie. Maisla science a prouvé depuis longtemps qu’un tabouret était plus stable sur trois pieds que surquatre. Pour le moment, le trio attend la sortie du film avec impatience. Et qu’un désir commun les rassemble (ou non) pour un nouveau projet. Sans le forcer. Party Girl de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis, avec Angélique Litzenburger, Samuel Theis (Fr., 2014, 1 h 36), en salle le 27 août 20.08.2014 les inrockuptibles 35

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acting class hero Reconnu tardivement, Jason Statham est aujourd’hui l’un des comédiens les plus bankable des films d’action. Alors que la franchise Expendables sort son troisième volet, l’acteur, physique stallonien et élégance britannique, reçoit dans un palace parisien. par Léo Soesanto

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e dites pas à Jason Statham qu’il est le plus indispensable des Expendables. Il est là pour défendre le jeu collectif des Rolling Stones du film d’action pour leur troisième baroud d’honneur. Même si on s’aperçoit que “nous” dans sa bouche signifie vite “je”. Mais voilà, avec Stallone ou en solo, “The Stath” détonne: voix rauque de pilier de pub, calvitie étudiée à la Bruce Willis, envie systématique de faire lui-même sescascades, charisme carré d’un Steve McQueen et grâce deballerine d’un Bruce Lee. Comme ce dernier, dont il est forcément fan, l’Anglais n’a pas joué dans des chefs-d’œuvre proclamés mais impose avec lespieds unepolitique de l’acteur en surchauffe, qu’on regarderait bouger et taper pendant desheures. Hétéro, hom*o, femme ou homme, tous adorent la scène du Transporteur, son baptême du feu de star d’action où, torse enduit d’huile de vidange (en fait du sirop), il dérouille des tueurs dans un garage, à la fois glissant et inamovible.

Et justement, rencontré dans un palace parisien, Statham ne tient pas en place sur son canapé. Costume sombre et chemise blanche rayée, il est assis jambes écartées comme sur un banc de muscu, l’air d’attendre que l’attachée de presse lui glisse un haltère en main. Parfois, il mime quelques coups de poing, autant pour appuyer son propos que pour s’échauffer. O.K., Jason Statham ne perd pas de temps. Heureusem*nt, il est volubile quand il défend le film d’action à l’ancienne. Ces sériesB de vidéoclub, aux titres sobres (Chaos, Course à la mort, LeFlingueur), où il excelle depuis une décennie et dont Expendables serait le dernier vestige. “Tous les films d’action que j’adore ont été tournés avant l’omniprésence des effets numériques: Predator, Rambo, LesDouze Salopards... Bon, je comprends que laSF ou les films Marvel aient besoin d’ordinateurs. C’est juste un goût différent, comme comparer les fish and chips et les sushis.” On le sent préférer le graillon au poisson cru. Mais Statham parle des films d’action avec l’intransigeance d’un

cultivateur de légumes bio. Le mot “vrai” revient: “Les seuls acteurs du genre auxquels je peux m’identifier sont de vrais gens comme Tony Jaa, Jet Li ou Jackie Chan alors que les types à Hollywood sont protégés par les effets spéciaux, le montage ou les cascadeurs. Je trouve très frustrant que ces derniers n’aient plus de reconnaissance, aux oscars ou ailleurs, alors que ce sont des putains de héros qui risquent leur vie. Des créatifs, dont les acteurs récoltent les lauriers. Tandis que moi ou Stallone, on est physique, on ne triche pas.” Le site Vulture recensait “les 23 pires façons de mourir de la main de Jason Statham”. Lui approuve la méthode classée numéro1 (la tête éclatée par un rotor dans Expendables2), tandis qu’on avait un faible pour la numéro2 (le cou brisé en chute libre d’un hélicoptère dans Hypertension). “Je le frappe et (bruit de langue) pioutt: c’est gratifiant parce que le mort, c’est Scott Adkins, l’un des meilleurs artistes martiaux du moment (vu dans le très curieux et recommandable Universal Soldier –Le jour du jugement –ndlr).” Pour Statham, le cinéma se mérite.

Statham est si old school que son rêve serait de tourner un film d’action en Chine (ou réaliste, car le pays est devenu le marché à conquérir pour les blockbusters). L’acteur a son discours rodé de puriste, connaît son image mais reste flexible (“Si Christopher Nolan veut m’envoyer dans l’espace, bien sûr que j’y réfléchirai.”). Car à 47ans, il a derrière lui plusieurs vies, plongeur sportif professionnel, mannequin, danseur peinturluré dans un clip d’Erasure ou vendeur de rue –job que Guy Ritchie lui fait rejouer pour sa première apparition bavarde à l’écran, dans Arnaques, crimes et botanique en 1998. On l’a vu, plutôt bon, tenter des rôles plus épais, sans high-kick dans Braquage à l’anglaise, en joueur de cartes cryptique et avec des cheveux dans Revolver, ou en ex-soldat clochardisé et tourmenté à Londres dans Crazy Joe: son Rambo à lui, pour lequel l’acteur, d’habitude instinctif (“Pas besoin de faire vingtans de Shakespeare pour bien faire semblant”), s’est, pour le coup, fait studieux (“J’ai parlé à des SDF, des militaires atteints de syndrome post-traumatique

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“pas besoin de faire vingtans de Shakespeare pour bien faire semblant”

Metropolitan Films

naturelle. On a beaucoup improvisé, des trucs tordus et stupides: les gars faisaient en sorte que tout ce que je disais et faisais ait l’air sérieux et absurde.”

parce que là, c’était vraiment plus compliqué de jouer cette douleur lorsque mes personnages habituels n’ont peur de rien”). Si on sait gré à Statham de vouloir élargir sa palette, l’homme maîtrise une autre botte secrète, qu’on l’espère voir décocher davantage: l’humour. Statham ricane beaucoup, de bon cœur, au milieu d’une phrase. Au-delà, on sait que tout corps sportif a un potentiel burlesque –petite taille, grands cris, gestes amples

et timing impeccable, un rien sépare le Bruce Lee de LaFureur de vaincre et le Louis de Funès d’Oscar. Et souvenons-nous, au rayon Expendables, du devenir cartoon de Schwarzenegger (Last Action Hero) et de Van Damme chez Tsui Hark. Statham s’y était essayé avec succès dans les deux Hypertension, adaptations pirates et cinglées du jeu vidéo GTA, où son personnage doit rester hyperactif

sous peine de crever. En faisant l’amour en public dans la rue ou dans un hippodrome. En mettant la main dans un gaufrier. En fixant sa langue à une batterie de voiture. DieHard3 vsTex Avery. “Mark Neveldine et Brian Taylor, les réalisateurs, étaient des fous, comme des étudiants de cinéma qui veulent tout donner. On tournait en mode guérilla dans tout LosAngeles, avec des caméras fixées au bout d’une perche, en lumière

Et sa meilleure expérience de l’année, selon le “Stath”, est aussi une comédie: Spy de Paul Feig (Mes meilleures amies), parodie d’espionnage prévue pour 2015 où il rejoint l’explosive Melissa McCarthy, inattendue barbouze. “Peut-être mon meilleur film: je lui donne 11 sur 10. On a des scènes hilarantes, de longs dialogues très cons avec Melissa. Je suis impatient de voir le résultat. Bien sûr, je ne glisse pas sur une peau de banane: je joue très sérieusem*nt mais le rire vient du contexte, complètement barré.” L’interview finie, il se lève enfin, rigole avec l’attachée de presse (“les 23 pires façons de mourir de la main de Jason Statham, hahaha !”), arpente la chambre et va dans un coin se mirer dans une glace. Le futur Leslie Nielsen seprotège à nouveau en mode boxeur, attendant le prochain round. lire aussi la critique d’Expendables3 p. 65 20.08.2014 les inrockuptibles 37

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rentrée cinéma

les sept thèmes capitaux Des films d’auteur français aux blockbusters hollywoodiens, les mêmes obsessions semblent être à l’œuvre. Nous en avons retenu sept. par Romain Blondeau, Jean-Baptiste Morain, Théo Ribeton 38 les inrockuptibles 20.08.2014

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Jean-Louis Fernandez

Amira Akili dans Métamorphoses de Christophe Honoré

métamorphoses On l’avait pressenti à Cannes et cela se confirme: l’année 2014 est celle de toutes les mutations. Des auteurs français au cinéma de genre en passant par le blockbuster, une même idée motrice parcourt toute une diversité de films, à savoir qu’on ne serait pas tout à fait “que” soi, et que les tempêtes intérieures amèneraient les corps qui les abritent à se disloquer, à saigner, à transmuter. Ainsi, Daniel Radcliffe, déjà porte-drapeau de la renaissance de la légendaire Hammer (célèbre maison de production notamment

à l’origine des Dracula-Christopher Lee), confirme son goût pour le fantastique avec Horns (1/10), pari kafkaïen qui voit lui pousser une paire de cornes devant la caméra d’Alexandre Aja. Le thème de la métamorphose, Christophe Honoré est quant à lui allé le chercher à sa source même, à savoir Ovide: Métamorphoses (3/9) transpose dans un cadre contemporain des muses devenues lycéennes, un Zeus qui roule en Clio (malin), et Bacchus en chemise hawaiienne, mais l’Olympe n’y perd rien de son sel badin, morbide

et singulièrement comique. Des doubles corps et des doubles vies, il y en aura aussi chez François Ozon, sous l’œil duquel Romain Duris joue les crossdressers dans Unenouvelle amie (5/11). Serait-ce exagéré que de lire enfin dans le programme des blockbusters de cette fin d’année un certain goût pour le mutant (un nouveau Dracula, des tortues ninja, un Disney de Noël en forme de grande foire au conte métamorphique mêlant Cendrillon, Raiponce, Jack et le haricot, etc.) ? Peut-être, peut-être pas… T.R. 20.08.2014les inrockuptibles 39

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rentrée cinéma états sauvages Cinq films de cette rentrée tournent autour de l’idée de retour à la nature, à un certain état sauvage, ou même à une fusion avec la mort. Vie sauvage (29/10), le nouveau Cédric Kahn avec Mathieu Kassovitz, raconte l’affaire Xavier Fortin, cet homme qui, en 2009, avait été (légèrement) condamné par la justice pour avoir enlevé ses deux fils et leur avoir fait vivre, pendant onze ans de cavale, une vie à l’écart du monde. Dans Near Death Experience (10/9), le nouveau film de Benoît Delépine et Gustave Kervern, Michel Houellebecq interprète un employé d’une plate-forme téléphonique qui pète les plombs et s’enfuit dans la montagne. Still the Water (1/10) de Naomi Kawase, en compétition à Cannes cette année, raconte la mort d’une mère, les rites qui l’entourent, la vie qui continue, l’amour des siens, les derniers petit* gestes avant le grand départ, le déchaînement de

la nature (une superbe scène de tempête). Un très beau film. Avec Boys Like Us (3/9), Patric Chiha (Domaine, Home) se lance dans la franche comédie. Un Autrichien gay installé en France décide sur un coup de tête de retourner vivre dans ses Alpes natales. Ses deux copains, tout aussi névrosés que lui, décident de l’accompagner. Décalages culturels, abîmes de réflexion et gouffres de perplexité, le choc sera rude et drolatique pour les trois compères. Après ses Coquillettes, Sophie Letourneur retourne à la campagne (comme dans LaVie au ranch) avec Gaby Baby Doll (17/12). Gaby (la belle Lolita Chammah) parie avec son petit ami qu’elle pourra vivre seule dans sa maison de campagne. Pas très sûre d’elle, elle essaie de faire ami-ami avec le gardien du château voisin, le peu commode Nicolas (le beau Benjamin Biolay). J.-B.M.

Charlotte Gainsbourg et Chiara Mastroianni dans Trois cœurs de Benoît Jacquot 40 les inrockuptibles 20.08.2014

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Michel Houellebecq dans Near Death Experience de Benoît Delépine et Gustave Kervern

amours compliquées, amours violentes Existe-t-il des amours simples ? Q uelques-uns des films à venir semblent répondre par la négative. Le hasard des rencontres et les rendez-vous manqués sont justement au programme de Troiscœurs (17/9), de Benoît Jacquot. Benoît Poelvoorde rencontre par hasard Charlotte Gainsbourg dans une ville de province. Ils se donnent rendez-vous à Paris. Mais il rate le rendezvous et rencontre Chiara Mastroianni, la sœur de Charlotte… Dans Love Is Strange (5/11), le nouveau film d’Ira Sachs (Keep the Lights on), Ben et George, deux vieux amoureux qui viennent de se marier (John Lithgow et Alfred

Molina) sont contraints de vivre séparément après le licenciement de George. Après Donoma, tourné “à l’arrache”, qu’allait donc filmer Djinn Carrénard avec un budget plus conséquent ? Le film s’intitule FLA (26/11), acronyme de “faire l’amour”, et raconte plusieurs histoires d’amour, difficiles ou impossibles. Finirontelles toutes mal, comme dans la chanson ? Bertrand Bonello, avec Saint Laurent (24/9) (en compétition à Cannes cette année), a construit un film très conceptuel sur la figure d’Yves Saint Laurent, une déambulation dans le mythe, ses amours éperdues et conflictuelles

(Pierre Bergé, Jacques de Bascher), sa dépression chronique, son inadaptation au réel, sa perte dans les paradis artificiels. Le troublant Gaspard Ulliel l’incarne magnifiquement. Dans Samba (15/10) d’Olivier Nakache et Eric Toledano (Intouchables), c’est cette fois-ci Omar Sy qui fait la connaissance de Charlotte Gainsbourg (décidément). Elle est Alice, une cadre sup burn-outée, il est Samba, Sénégalais sans papiers. Le choc des cultures qui avait fait le succès d’Intouchables fonctionnera-t-il une nouvelle fois auprès du public ? J.-B.M. 20.08.2014 les inrockuptibles 41

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génération sales gosses La tendance sera aussi aux contestations adolescentes. En France, d’abord, avec Bande de filles (22/10) de Céline Sciamma, l’un des moments forts du Festival de Cannes. Un vibrant portrait de jeunes filles de banlieue en lutte contre la loi des garçons, qui confirme toute la sensibilité politique –et le style ultra aiguisé– de sa réalisatrice. Issue de la même génération, Mia HansenLøve poursuit également son exploration de la jeunesse, mais sous un angle plus historique: dans son très attendu quatrième film, Eden (19/11), elle revisite la grande épopée de la French Touch et du clubbing français dans ce qui s’annonce comme un hommage romanesque et mélancolique à son frère, le DJ Sven Love. Il faudra aussi compter sur le nouvel opus d’Asia Argento, L’Incomprise (26/11), un autoportrait fragile mais charmant en jeune fille turbulente, et sur l’infatigable Larry Clark qui, dans TheSmell of Us (présenté à Venise le31août), lâche ses ados skateurs dans les rues de Paris pour ce que certains qualifient déjà de film-somme. Aux Etats-Unis, terre d’origine du genre, la figure de rébellion teen sera incarnée par Shailene Woodley, nouvelle coqueluche du box-office depuis Divergente qui vient s’encanailler chez Gregg Araki dans le thriller White Bird (15/10). Réinventée (i.e.: érotisée àmort), elle s’impose comme la grande héroïne de cette rentrée. R.B.

Shailene Woodley dans White Bird de Gregg Araki

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meurtres en série L’automne fait tomber les feuilles et fleurir les polars. Si la fournée 2014 est copieuse et éclectique, elle dispose néanmoins d’une pièce maîtresse: Sin City. Le perfect shot (dans le mille, autant du point de vue artistique que commercial) du premier volet ayant étonnamment peiné à embrayer sur une suite, il a fallu presque dix ans à ce Sin City –J’ai tué pour elle (17/9) pour voir le jour. Et c’est tant mieux. Ainsi, Sin City est resté dans les mémoires avec l’auguste singularité d’un épais volume de BD, semblable à nulle autre adaptation de comics au sein d’une décennie pourtant très prolifique. Sin City –J’ai tué pour elle, au meilleur de sa forme, vaudra-t-il plus qu’une simple resucée des ingrédients du premier épisode ? Il est trop tôt pour le dire, mais les très judicieux recrutements du tandem Robert Rodriguez/Frank Miller font montre d’un flair pour le moins excitant: Eva Green ou encore Joseph Gordon-Levitt, en parfaite

continuité du casting dantesque et animal que l’on sait (Mickey Rourke, Rosario Dawson…). Le reste de la saison décline toutes les couleurs du polar avec pour fil rouge le thème inusable de la traque. Sec et glacé comme Un homme très recherché (17/9) d’Anton Corbijn (Control), l’ultime rôle de Philip Seymour Hoffman (mort en début d’année), adapté de John le Carré: le romancier ex-MI6 est encore synonyme de spy movies sinueux et complexes (souvenez-vous de LaTaupe). Sensuel et chimérique comme Gone Girl (8/10), cru 2014 de David Fincher avec Ben Affleck en citoyen au-dessus de tout soupçon. Enfin, l’histoire du traqué parmi les traqués: Pablo Escobar, légendaire chef du cartel de Medellín. Sa vie orageuse ne protègerait pas tout à fait Paradise Lost (5/11) des platitudes du genre biopic, s’il n’y avait pour l’interpréter l’acteur-montagne par excellence: Benicio Del Toro. T.R. Ben Affleck dans Gone Girl de David Fincher

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rentrée cinéma

la tête dans les étoiles Le cinéma américain aura lui les yeux rivés vers le ciel. D’abord dans le très attendu et secret Interstellar (5/11) de Christopher Nolan, dont les premières images, diffusées avec parcimonie sur internet depuis des mois, font frissonner la planète geek. Initialement développé par Steven Spielberg, ce récit d’une conquête de l’espace emmenée par Matthew McConaughey s’inscrira dans la tradition

de “l’âge d’or des blockbusters”, selon Christopher Nolan, et devrait concilier l’hyperréalisme des technologies contemporaines et la science du storytelling de son auteur. Ridley Scott lui aussi regardera vers les étoiles, mais pour y trouver une autre révélation: avec Exodus (24/12), le cinéaste américain revisite l’histoire de Moïse dans un nouveau blockbuster adapté de la Bible, dont les premières

images annoncent un grand spectacle un peu kitsch et sentencieux. On lui préférera les badinages et mots d’esprit sous la pleine lune du dernier film de Woody Allen, Magic in the Moonlight (22/10), qui refait encore son autoportrait en misanthrope (Colin Firth) chamboulé par une jeune et séduisante ingénue (Emma Stone, parfaite). Dans la lignée de Midnight in Paris: un Woody joueur, séduisant, irrésistible. R.B.

Matthew McConaughey dans Interstellar de Christopher Nolan

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Jim Carrey et Jeff Daniels dans Dumb &Dumber De de Bobby et Peter Farrelly

le retour des crétins C’est à un étrange duel de débiles auquel on assistera à la rentrée. D’un côté, les frères Farrelly, anciens rois déchus de la comédie américaine, à peine remis du flop de leur dernier opus, LesTrois Stooges, reviendront avec Dumb &DumberDe (17/12), suite de leur premier film sorti en 1994. On y retrouvera le tandem formé à l’époque par Jim Carrey et Jeff Daniels, alias Lloyd et Harry, lancés cette fois-ci dans une enquête explosive sur les traces d’un enfant caché. Un film de la dernière chance pour les Farrelly, dont le génie burlesque devra prouver qu’il peut encore résister à l’époque.

De l’autre côté, les héritiers successful de la génération Apatow, Seth Rogen et James Franco, sortiront l’artillerie lourde avec une nouvelle comédie d’aventures, L’interview qui t ue ! (18/2), soit l’histoire de deux journalistes gaffeurs missionnés par la CIA pour assassiner le dictateur nord-coréen Kim Jong-un. Déjà polémique (la Corée du Nord, la vraie, n’a pas apprécié), le film devrait cartonner au box-office à défaut de rassurer totalement sur l’état de la comédie américaine. Entre vieux et jeunes débiles, le duel s’annonce en tout cas sans pitié. R.B.

dossier coordonné par Jean-Marc Lalanne 20.08.2014 les inrockuptibles 45

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le monde est Stone Sous la houlette du producteur Rick Rubin, le duo Angus & Julia Stone s’est reformé pour composer un troisième album qui oscille entre satin et électricité. par Johanna Seban

Jennifer Steinglen

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’est l’histoire d’un frère et d’une sœur. Elle a le prénom d’une chanson des Beatles, Julia. Lui porte celui d’un célèbre guitariste de l’histoire du hard-rock, Angus. Angus et Julia grandissent en Australie, le long des plages qui s’alignent au nord de Sidney. Leurs parents séparés, ils emménagent dans deux maisons différentes. Mais tous deux restent très proches de leur père. C’est lui qui fonde puis dirige l’orchestre de l’école de ses enfants. Lui, ensuite, qui les pousse à pratiquer d’un instrument et jouer de la musique. “Notre papa aime la musique encore plus que nous. Il mourrait pour elle. Il est dugenre à traverser le pays pour voir un concert. Ou à déclarer laguerre aux salles de poker qui se multipliaient en Australie au détriment des salles de concerts.” Le bac en poche, chacun des enfants Stone vaque à ses activités. Angus fait les quatre cents coups, fugue, travaille comme ouvrier. Plus sage, Julia enseigne la trompette. Il faudra un séjour commun en Amérique latine, où cette dernière était partie rejoindre un petit ami, pour que les deux Stone se retrouvent 20.08.2014 les inrockuptibles 47

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“riches de nos expériences solos, nous avons délibérément tout fait ensemble” et commencent à jouer de la musique ensemble. Quelques concerts et un excellent bouche à oreille plus tard, leduo sort un premier album en 2007, dont il a confié les manettes à Fran Healy, de Travis. En 2009, le monde est Stone: propulsé sur les ondes internationales, lecarton du single Big Jet Plane les hisse ausommet des charts. Ils vendent 150 000albums en France et partent trois années sur la route. C’est beaucoup, bientôt trop: un peu paumés, Angus et Julia décident de mettre leur collaboration en veille et s’octroient chacun une envolée en solitaire. Julia, qu’on a en outre entendue sur le dernier album de Benjamin Biolay, sort deuxalbums solos (The Memory Machine, By the Horns), tandis qu’Angus publie Smoking Gun puis Broken Brights. “Nous avons tourné chacun de notre côté pendant un an et demi. Ça a été une expérience forte: il a fallu apprendre à être seul sur scène, à assurer le show sans se reposer sur l’autre. Avec Angus & Julia Stone, il y avait toujours cette possibilité d’être à la fois acteur et spectateur de ce qui était en train de se passer. Et si le navire coulait, alors c’était la faute de l’autre.” Les deux musiciens auraient pu continuer leur chemin, rédigeant en parallèle de sympathiques chapitres discographiques. C’était compter sans l’entrée en scène d’un illustre barbu. Pas le père Noël, mais presque. Chez unami, le producteur américain Rick Rubin découvre la musique d’Angus &Julia Stone. Il se renseigne sur le duo et finit par se rendre à leurs concerts solos. Au Troubadour, salle mythique du Santa Monica Boulevard de Los Angeles qui hébergea les débuts de Tom Waits et des Byrds, il part écouter Angus et succombe au timbre fragile du garçon. Même béguin lors du concert de Julia, qui se produit au Hollywood Forever Cemetery. A chaque fois, le scénario est le même: Rick assiste au concert, tombe sous le charme et passe la journée du lendemain avec les Australiens. Ensemble, ils parlent de la vie, de l’amour, très peu de musique.

Subtilement, conscient sans doute qu’il aborde là un sujet délicat, Rick finit par évoquer le projet d’un nouvel album en commun. L’époustouflante biographie du producteur suffira à convaincre Angus et Julia. “Nous ne sommes pas le genre de personnes à regarder les noms des producteurs. Aussi, au départ, on ne savait pas très bien qui était Rick. Puis on s’est rendu compte qu’il avait été à nos côtés depuis si longtemps, sans qu’on le sache. Il était derrière tous ces disques qui nous avaient accompagnés: chez nous, dans les fêtes, à l’école…” A ceux qui, comme Angus et Julia, auraient besoin d’un rappel, on évoquera les grandes lignes de l’impressionnant CV du producteur: cofondateur du label Def Jam, il a produit les disques de Jay-Z, des Beastie Boys, de Public Enemy, de Metallica ou des Red Hot Chili Peppers. C’est lui qui, en 1986, fit se croiser Run DMC et Aerosmith pour le tube Rock This Way, lui aussi qui produisit les American Recordings de Johnny Cash. Lui, enfin, qui fut sacré producteur le plus important des vingt dernières années par la chaîne MTV. Résolu à apporter “du groove” à Angus & Julia Stone, Rick Rubin les encourage à développer l’écriture à quatre mains. Jusque-là, chacun composait dans son coin les chansons qu’il présentait ensuite à l’autre. “Un frère et une sœur qui partagent les mêmes hôtels, se retrouvent dans les mêmes endroits perdus, partagent leur quotidien pendant des mois, ce n’est pas commun et pas toujours facile. Du coup, nous avions toujours écrit chacun de notre côtépour garder un peu d’intimité. Cette fois, ce fut le contraire. Riches de nos expériences solos, nous avons délibérément tout fait ensemble.” A Palisades, en Californie, le duo organise, en plein milieu de l’été 2013, une première session d’écriture et de répétition, s’entourant de nouveaux musiciens. Quelques semaines plus tard, il pousse la porte du studio Shangri La, où travaille Rubin à Malibu. Dans l’entrée, trône un vieux tour bus seventies de Bob Dylan. A l’intérieur, les instruments vintage côtoient de vieux billards.

Rubin leur fait écouter des albums de Talking Heads et leur présente unnouveau batteur, échappé de la sphère hip-hop (il a joué avec Lupe Fiasco et Frank Ocean). Surtout, le groupe décide de ranger ses ballades folk-rock pour privilégier l’électricité. De loin le plus vibrant chapitre de sa discographie, cet Angus &Julia Stone voit ainsi le duo dévoiler une facette plus brute, qui va chercher la sensualité dans les angles droits, à l’image d’un MyWord for It qui rappelle les plus grandes heures des Kills. “On a commencé par utiliser davantage de guitares électriques. Le batteur et le bassiste ont alors dû jouer plus fort. La voix, du coup, devait, elle aussi, porter davantage. Avant, on avait tendance à chanter pour nous-mêmes. Cette fois, il fallait chanter pour les autres.” De Death Defying Acts à Little Whiskey, les Stone agencent ainsi une belle chorégraphie de guitares saturées, s’autorisant tout de même de jolies parenthèses acoustiques (Wherever You Are, Other Things). Le ballet s’achève sur un Crash and Burn dont lesdéflagrations soniques, la mélodie en culbute et la fureur au ralenti établissent une nouvelle filiation entre le duo et NeilYoung. Le titre fut joué et enregistré en une seule prise, lors d’une soirée arrosée et enfumée. “Ce morceau n’était pas prémédité, on a appuyé sur le bouton ‘enregistrer’ et il est venu tout seul. C’est dans ces moments de lâcher-prise qu’on est souvent le plus inspirés, comme lorsqu’on donne un concert le lendemain d’une nuit très courte. Souvent, le processus créatif se résume à la recherche de cette sensation, de cette perte de contrôle. Ça revient à chercher cet espace qui se situe entre l’éveil et le sommeil: tout vous semble chaud, flou, vous n’appartenez plus à aucun des deux mondes.” Au vu durésultat, souhaitons à Angus et Julia de continuer à courir à leur perte. album Angus & Julia Stone (Discograph) concerts les 9 et 10 décembre à Paris (Casino de Paris), angusandjuliastone.com

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en toute bonne foi En mêlant le récit de sa propre crise mystique à une enquête érudite sur la naissance duchristianisme, Emmanuel Carrère parvient àpassionner ceux qui croient au ciel et ceux quin’y croient pas. par Elisabeth Philippe photo Frédéric Stucin pour Les Inrockuptibles

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e qu’on aime chez Emmanuel Carrère, c’est qu’il nous emmène toujours là où l’on ne s’attend pas. Le voilà qui récidive, plus que jamais, avec LeRoyaume. Un titre qui sonne comme celui d’une saga de SF façon Dune. On en est très loin et, en même temps, pas tant que ça, puisqu’il est question de la foi et des premiers chrétiens. Or Borges, pour ne citer que lui, ne considérait-il pas lathéologie comme une branche de la littérature fantastique ? C’est en travaillant sur le scénario des Revenants, série dans laquelle les morts ressuscitent, qu’Emmanuel Carrère commence à s’interroger sur lareligion chrétienne. Comment peut-on croire àces histoires insensées de résurrection, de miracles etd’immaculée conception ? Comment expliquer lalongévité d’une religion dont les fondements ne sont pas plus rationnels que les récits mythologiques ou les contes de fées mais qui a pourtant conquis lemonde ? Tel est le point de départ de l’enquête métaphysique haletante que l’écrivain vamener durant plus de 600pages. Dans un premier temps, il envisage d’interviewer des croyants et même de faire unecroisière “sur les traces de saint Paul” afin d’obtenir des réponses, avant de réaliser qu’il n’a pasbesoin d’allersi loin. “Car un chrétien, j’en ai eu unsousla main, pendant plusieurs années, aussi proche qu’on peut l’être puisque c’était moi.” D’Un roman russe à D’autres vies que la mienne, Emmanuel Carrère a pris l’habitude de se raconter, mais jamais encore il n’avait évoqué la crise mystique

qu’il a traversée au début des années90. Il connaît alors des moments difficiles dans sa vie personnelle ; iln’arrive plus à écrire. Faute d’écriture, il s’en remet aux Ecritures, va à la messe tous les jours, commente chaque matin les Evangiles. Derrière sa conversion, ilya des rencontres, mais surtout une phrase tirée de l’Evangile selon saint Jean: “Quand tu auras vieilli, tuétendras les mains/et un autre te ceindra,/ et il te conduira là où tu ne voulais pas aller.” On ne pensait pas forcément vouloir aller sur les pas des premiers chrétiens, mais Emmanuel Carrère transforme levoyage entre la Grèce, Rome etJérusalem en une aventure érudite et exaltante avec un net penchant pour le péplum, une aventure émaillée d’autodérision et d’un humour qui rappelle parfois LaVie de Brian desMonty Python, ainsi que de parallèles audacieux, souvent éclairants, avec le monde contemporain. Leslu*ttes intestines entre Paul –qui a joué un rôle majeur dans l’expansion du christianisme– et l’apôtre Pierre sont aussi tordues que celles des révolutionnaires bolcheviques, Néron est comparé à Poutine, saint Jean à Ben Laden. Il y a du sang, dusexe et surtout uneréflexion passionnante sur l’écriture à travers lepersonnage de Luc, compagnon de route de Paul et évangéliste, auquel Carrère semble s’identifier. Pourévoquer LeRoyaume, on rencontre l’écrivain chezlui, à Paris, quelques jours avant son départ envacances pour Patmos, l’île sur laquelle saint Jean aurait rédigé L’Apocalypse. Il n’y a pas de hasard. 20.08.2014 les inrockuptibles 51

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Le Royaume débute par le récit de votre crise mystique. Un épisode, écrivez-vous, que vous aviez totalement oublié. Comment est-ce possible ? Emmanuel Carrère –Ce que je raconte dans le prologue du livre, je l’exagère à peine. Je me suis mis àécrire ce livre sur le christianisme en ayant complètement scotomisé que j’y avais cru moi-même. Il y avait réellement quelque chose de clivé. Est arrivé un moment où j’en ai pris conscience et évidemment j’ai compris qu’il fallait faire entrer cetteexpérience personnelle dans le livre. Elle ne donne certainement pas une image très flatteuse de la foi chrétienne. Aumoment de ma conversion, j’étais dans un grand désarroi. Je me suis senti libéré de ma propre volonté, de ma propre initiative. Ma foi était clairement un refuge névrotique. Je connais des chrétiens qui sont demeilleures publicités pour le christianisme que je ne l’étais moi-même à ce moment-là. Je pense parexemple à Jean Vanier, le créateur de la communauté de l’Arche, dont je parle à la fin du livre. Combien de temps a duré cette “crise” ? A peu près troisans. Disons que le début est très net, la fin beaucoup moins. Il y a eu trois années vraiment hard. Sans aller jusqu’à être un chrétien intégriste oufondamentaliste, je voulais vraiment croire queles Evangiles étaient la parole de Dieu. Puis ça s’est effiloché tout en restant présent dans mon travail. Pendant cette période, j’ai écrit la biographie dePhilipK.Dick auquel je me réfère beaucoup dans lelivre parce que c’était vraiment un cas passionnant de mystique sauvage. Ensuite, j’ai écrit L’Adversaire, participé à la Bible Bayard. Ces questions continuaient à me travailler, mais elles infusaient dans un matériau littéraire. Et en infusant dans la littérature, les raideurs dogmatiques se sont assouplies. Des années après, j’aieu envie de revenir à cette histoirelà, mais dans la peau de celui que je suis devenu. Celui que je suis devenu a engagé une sorte de dialogue

Néron est comparé à Poutine, saintJean à Ben Laden. Il y a du sang, du sexe et une réflexion passionnante sur l’écriture

avec ce moi révolu dont je me sens vraiment très éloigné aujourd’hui, même si à certains égards jelui ressemble aussi. Je ne me considère pas du tout comme croyant, ou plus du tout, mais en écrivant ce livre, je n’aimais pas les moments où je me prenais en flagrant délit de supériorité. Il s’agit aussi d’un échange avec des gens de foi, vivants ou morts, que j’ai connus ou non, et qui souvent m’impressionnent. Cette croyance qui me paraît bizarre inspire aussi des conduites et desaccomplissem*nts humains que j’admire. La question au cœur de votre livre, c’est finalement de tenter de comprendre pourquoi on croit ? Oui, c’est tenter d’approcher au plus près de cette frontière, sans la franchir: l’endroit où les gens croient. Il y a une volonté de trouver une sorte de voie du milieu, mais aussi une façon de tirer des bords, d’essayer constamment d’aller d’un côté puis de l’autre, du scepticisme qui est le mien, celui d’un agnostique, à la foi que non seulement je n’ai plus mais que je ne désire en aucune façon avoir. Et pourtant, l’autre question centrale du Royaume, c’est d’interroger ce qu’il y a comme résidu, ce qui résiste pour moi de cette foi. Sij’étais complètement cohérent, je me dirais que le christianisme repose sur la foi dans la résurrection du Christ, qu’il était le fils de Dieu, né des entrailles d’une vierge, toutes sortes de choses que je ne crois pas lemoins du monde, que rien en moi ne croit, et je me dirais que tout cela est faux, que ce sont des conneries. Or je n’arrive pas à penser ça pour autant. Je n’arrive pas à me dire entièrement que le christianisme est identique à ces théories dépassées sur la circulation du sang ou l’astronomie, des théories invalidées qui n’ont plus d’intérêt que pour les historiens des sciences. Jen’arrive pas à penser uniquement le christianisme comme quelque chose d’historiquement et culturellement intéressant, mais absolument révolu. Non, il y a quelque chose qui pour moi résiste, le noyau dur de l’enseignement évangélique que je trouve extrêmement nourrissant et même extrêmement vrai. Quel serait ce noyau dur ? Ce qui me touche le plus, c’est le système d’inversion totale des valeurs. Nietzsche se vantait de retourner toutes les valeurs, mais le retournement le plus radical, le plus fou, le plus extravagant, qui va le plus contre tout ce que l’on croit savoir de la vie ensociété, de la vie humaine, quoi qu’on fasse et deuxmilleans après, c’est toujours le christianisme. Essai, enquête, mémoire… Comment définiriezvous cet objet étrange qu’est LeRoyaume ? Je ne sais pas très bien. Je ne mets plus de sous-titre depuis L’Adversaire. A vrai dire je m’accommode très bien du fait que ce soit un objet un peu hybride.

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“cette croyance qui me paraît bizarre inspire aussi des conduites et des accomplissem*nts humains que j’admire” Emmanuel Carrère Il y a une sorte de mémoire autobiographique, une enquête historique, et on peut le dire emphatiquement, uneméditation sur le christianisme. Tout cela me paraît pouvoir faire assez bon ménage. Ce qui m’a servi de fil directeur, c’est la lecture du Nouveau Testament et la figure de Luc, l’évangéliste, qui permettait de suivre un personnage et un fil chronologique. Lucest un témoin, un chroniqueur. Les trois autres évangiles émanent directement de l’Eglise et s’adressent aux croyants. Luc, lui, vient de l’extérieur. D’abord, c’est le seul goy de l’histoire. C’est un Grec, unpaïen, qui s’intéresse au judaïsme et qui écrit aussibien pour des juifs devenus chrétiens que pour despaïens curieux. Il est dans une position frontalière qui est aussi la mienne, puisque je m’adresse aussibien au lecteur croyant qu’au lecteur mécréant. Ily a quelques croyants parmi mes amis proches, maisje vis dans unmilieu plutôt placidement athée ouagnostique, auquel il faut commencer par dire “lisez, c’est intéressant”. Quant au lecteur croyant, il ne faut pas ledécourager par le fait que l’on dit d’entrée quel’on n’y croit pas. D’autre part, le choix de Luc me paraissait cohérent car il est le seul évangéliste qui ait délibérément une visée d’historien ou de journaliste. Il est arrivé vingt outrenteans après les “faits” et j’ai eu envie d’imaginer cequ’avait pu être son enquête, en me posant unequestion en apparence simpliste mais aussi très féconde: d’où Luc sort-il ça ? L’a-t-il recopié ? Est-ce qu’il invente ? Je pense qu’il invente dans pas mal de cas. Quelques-unes de ces inventions sont parmi les greatest hits du christianisme: le bon Samaritain, lefils prodigue, le Magnificat… L’histoire du fils prodigue fait vingtlignes mais depuis deux milleans, on ne l’a pas épuisée. C’est une pure splendeur de littérature. Vous écrivez aussi qu’à travers votre enquête sur l’évangile de Luc, vous souhaitez démonter les rouages d’une œuvre littéraire. Une façon de réfléchir à votre propre travail ? Bien sûr, c’est aussi une vie d’écrivain que j’ai faite, un peu en homme du bâtiment. J’essaie de comprendre comment il procédait, évidemment en me projetant pasmal. En même temps, une grande partie des hypothèses que je formule sur Luc, je les crois justes. Je ne m’amuse pas seulement à faire un autoportrait. Mais forcément, ce travail amène à une interrogation sur les pouvoirs de la littérature. Parce que, dans le genre pouvoir performatif de la littérature, les Evangiles sont quand même la chose la plus extraordinaire

qu’onn’ait sans doute jamais faite, quand on voit leur invraisemblable influence et descendance sur vingtsiècles. Il y a peu d’œuvres littéraires dont onpuisse dire ça. Je pense qu’une des raisons dusuccès du christianisme, c’est sa force littéraire et romanesque. Ce n’est pas seulement une doctrine, c’est une histoire. Vous l’avez dit, par certains aspects, votre livre peut aussi se lire comme une enquête historique. Vous parvenez à rendre l’histoire extrêmement vivante grâce à de nombreuses comparaisons, notamment avec la révolution russe. C’est l’autre période historique à laquelle je me suis beaucoup intéressé et que je connais un peu. Au-delà de ça, il y a des ressemblances. Sur l’aspect politique, si je peux dire, les histoires de factions, debisbilles entre Paul et la “maison mère” deJérusalem rappellent en effet les grandes querelles politiques des premiers bolcheviques. Ce n’était paslesquerelles au sein del’UMP ! L’enjeu était bien plus grand. Ces hommes pensaient faire une révolution radicale de l’humanité. Leur dessein est comparable dans son côté millénariste, sa façon globale de considérer l’homme, l’histoire, et il s’est aussi incarné dans des hommes qui, comme tous les hommes, sont un peu des petit* bonshommes. Vouspouvez ledire deLénine, Trotsky etStaline ou de Pierre, Paulet Jean. Exigeant à certains égards, LeRoyaume est aussi un livre très vivant et souvent très drôle. Vous n’hésitez pas à évoquer le cl*tor*s de Marie, à comparer Jeanl’évangéliste à Ben Laden, Paul à un “Terminator juif”, etc. Vous ne craignez pas de vous attirer lesfoudres des catholiques intégristes, un peu trop prompts à se manifester ces derniers temps ? Honnêtement, je ne pense pas qu’un catholique intégriste lira ce livre. On est trop loin pour qu’il y ait unespace de dialogue avec un intégriste. Mais je pourrai toujours leur répondre, comme Ernest Renan l’afait face aux critiques très violentes qu’il a essuyées pour sa Vie de Jésus, par cette phrase que je cite dans le livre: “Quant aux personnes qui ont besoin, dans l’intérêt de leur croyance, que je sois un ignorant, unesprit faux ou un homme de mauvaise foi, je n’ai pas la prétention de modifier leur opinion. Si elle est nécessaire à leur repos, je m’en voudrais de les désabuser.” Le Royaume d’Emmanuel Carrère (P.O.L), 640pages, 23,90€, en librairie le 4 septembre

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blow away Aristocrate déchue, flamboyante mais fauchée, Isabella Blow a voué sa vie à la mode, cachant ses angoisses sous d’improbables coiffes. Elle fut celle qui révéla Alexander McQueen au plus grand nombre. Les deux amis se suicideront à quelques années d’intervalle, ultime coup d’éclat de carrières marquées par une sensibilité jumelle et exacerbée. par Victor Bonmartin

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’Isabella Blow, on cite volontiers ses looks extravagants, rehaussés par les chapeaux sculpturaux de Philip Treacy pour qui elle fut une ambassadrice d’exception. Si elle revendiquait fièrement ses origines aristocratiques, son histoire familiale n’en reste pas moins trouble et entachée de deuils violents. Son grand-père, sirHenry John Delves Broughton, dilapida le patrimoine familial, perdu entre sa passion pour le jeu et de mauvais placements. Accusé du meurtre de l’amant de sa seconde épouse, finalement acquitté, il mettra fin à ses jours dans une chambre d’hôtel à Liverpool, en s’injectant une dose mortelle de morphine. Endettée, la famille se résout à louer son imposante demeure qui devient une école pour jeunes filles et part s’installer dans la dépendance. Isabella naît à Londres en 1958. Quatre ans plus tard, son frère cadet se noie dans la piscine à moitié remplie de la propriété. Sa mère, qui ne se remettra jamais du terrible accident, abandonne mari et enfants dixans

plus tard en leur offrant une poignée de main en guise d’adieu. Jeune femme, Izzie, comme l’appellent ses proches, décide de tenter sa chance à New York. Elle y étudie l’art ancien chinois, fréquente un temps Andy Warhol et tombe sous le charme de Jean-Michel Basquiat. Elle épouse Nicholas Taylor, compatriote à la recherche de la fortune dans le pétrole. Cette entreprise et ce mariage seront un échec. Un an plus tard, âgée de 22ans, elle rencontre Anna Wintour, alors directrice de la création de Vogue et l’assiste un temps. Le côté caméléon de l’Anglaise, sa personnalité affable et son sens inné du style séduisent la journaliste. Les deux jeunes femmes resteront amies lorsque Isabella retournera en Angleterre. Elle officie désormais chez Tatler, autre publication du groupe Condé Nast. En 1989, Isabella Broughton épouse Detmar Blow. Petitfils d’architecte, le jeune homme partage avec Izzie son raffinement, mais aussi des revenus modestes, bien trop modestes pour les excentricités dont rêve le couple. En 1992, malgré ses angoisses liées à l’argent, Isabella Blow décide de s’offrir dans son entièreté la toute première collection d’un jeune Anglais.

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Isabella Blow en ambassadrice des chapeaux exubérants de Philip Treacy

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Lors de la présentation de sa collection printempsété2008, intitulée La Dame en bleu, McQueen rend hommage à son amie décédée quelques mois auparavant

en 1992, pour 5 000 livres, elle décide de s’offrir dans son entièreté la première collection d’un certain Lee McQueen Pour 5 000 livres, elle acquiert les vêtements réalisés par un certain Lee McQueen pour son défilé de fin d’études à la fameuse école Saint Martins. Elle les paiera en versem*nts hebdomadaires de 100livres. Subjuguée par l’irrévérence et la théâtralité des créations du jeune homme, elle fera tout pour le mettre en avant. Elle lui conseillera de transformer son prénom pour signer ses futures collections. D’une dévotion totale, elle l’introduira dans son cercle amical et professionnel et en vantera les talents dès qu’elle en aura l’occasion. Issu d’une famille modeste, McQueen a en effet besoin de vendre rapidement son travail pour pouvoir continuer à créer, et la visibilité médiatique que lui offre Blow est plus que précieuse. Ses défilés sont de plus en plus suivis. Ils sont des happenings spectaculaires de surenchère, à même de choquer une critique qui ne demande que cela. En 1996, celui que les Anglais surnomment l’Enfant Terrible est nommé à la tête de Givenchy et est chargé de secouer l’honorable maison française. Ni tout à fait celui d’un pygmalion, ni tout à fait celui d’une muse, il est difficile de définir le travail d’Isabella auprès d’Alexander, et encore plus de le facturer. Et c’est sur ce flou que le créateur s’installe à Paris, sans avoir réellement cherché à créer un poste pour celle qui l’a soutenu inconditionnellement, comme cela se fait souvent dans les maisons de couture. Les crispations sefont ressentir d’un côté comme de l’autre,

l’un cherchant à s’émanciper, l’autre souhaitant récolter les fruits de son travail. Si les créations de McQueen chez Givenchy ravissent la presse, les ventes peinent à décoller. Le couperet tombe en 2001: son contrat n’est pas renouvelé. Il sera remplacé par Julien Macdonald, autre talent britannique découvert par Blow. Cette même année, Tom Ford recrute à tour de bras les têtes d’affiche du Gucci Group. Une nouvelle fois, Isabella Blow souffle le nom de McQueen. Ce dernier obtient les pleins pouvoirs: des boutiques aux quatre coins de la planète et un financement total qui lui permet d’aller au plus loin dans ses envies de show. En échange, le créateur doit vendre, et décline donc les pièces fortes de ses collections dans des versions plus commerciales, lance une ligne jean, homme, des lunettes, de la maroquinerie… Malgré l’avalanche de travail que toutes ces lignes demandent, toujours aucun rôle officiel pour Izzie. Et si sa santé financière reste chancelante, sa vie privée connaît elle aussi quelques tumultes. A leur grand désespoir, Detmar et son épouse n’arrivent pas à avoir d’enfant. Isabella suit de multiples traitements de fertilité, en vain. Le couple se sépare quelques mois en 2004. Pour son entourage, cet épisode marque le début de sa dépression. Isabella enchaîne alors les collaborations avec les magazines de mode, sans vraiment y faire sa place, peu encline aux compromis commerciaux que demande ce genre de postes. A ses proches, elle commence à parler de suicide

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Richard Young/Rex/Sipa

Benoit Tessier/Reuters

Isabella Blow et Alexander McQueen à la Barra Gallery de Londres, septembre2005

sur un ton tellement désinvolte qu’il est difficile de discerner si elle plaisante ou non. Malheureusem*nt, ses nombreuses tentatives prouvent le contraire et témoignent de sa détresse. Traitée aux électrochocs, elle s’enfonce un peu plus dans la maladie. Les opportunités professionnelles qui se présentent se transforment toutes en déceptions et épuisent sa santé fragile. Atteinte d’un cancer des ovaires, elle parvient à ses fins en avalant du désherbant. Isabella Blow décède le 7mai2007, et la planète mode est sous le choc. Certains accusent Alexander McQueen d’avoir abandonné Izzie. Il répondra en interview que cela est totalement faux, que ce qui les lie va bien au-delà de la mode. Six mois plus tard, Alexander McQueen rend hommage à son amie en lui dédiant sa collection printemps-été 2008. Intitulée La Dame bleue,

elle s’ouvre sur un impressionnant décor de néons, s’animant pour récréer les battements d’ailes d’un majestueux oiseau. Les silhouettes s’enchaînent, coiffées des chapeaux de Treacy, comme autant d’hommages aux facettes de la personnalité de Blow. Alexander McQueen semble au sommet de son art. Toujours aussi sensible aux critiques, le créateur accuse le rythme fou des collections, qu’il supporte grâce à un co*cktail de cocaïne, somnifères et autres tranquillisants, favorisant une tendance dépressive. Le décès de sa mère sera pour lui un coup fatal. Neufjours plus tard, le 11février 2010, il se pend à son domicile, laissant une note sibylline: “Veillez sur mes chiens, je suis désolé, je vous aime, Lee”. Trois ans après Isabella Blow, la mode est de nouveau endeuillée. Alexander McQueen laisse derrière lui un monde fantasmagorique et un empire commercial. 20.08.2014 les inrockuptibles 59

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Sils Maria d’Olivier Assayas Olivier Assayas tisse un entrelacs complexe de liens entre ses personnages (Juliette Binoche et Kristen Stewart, exceptionnelles) et le monde pour réussir son œuvre la plus contemporaine et la plus bouleversante.

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ne jeune femme, habillée comme sur un campus américain, papillonne entre deux smartphones etunetablette numérique ; uneactrice lasse, sans apprêt, regarde par la vitre du train les sommets alpins et y projette probablement lesfantômes de son passé ; cette actrice internationalement fêtée, c’est Maria Enders (Juliette Binoche), armée de son performant petit soldat (Kristen Stewart, irrésistible en secrétaire de star). Les voilà toutes deux embarquées pour Zurich. Il ne s’est encore presque rien passé que déjà lefilm nous happe. Tout y est magnétique: le visage changeant des comédiennes, lesswitchs de l’anglais au français, la scénographie embouteillée entre couloirs, cabine et voiture-restaurant, et surtout l’étrangeté du lien immédiatement lisibleentre ces deux personnes qui ne forment qu’un seul organisme, l’un étant devenu laprothèse de l’autre.

Dans ce train en route vers les cimes, c’est tout le cinéma d’Olivier Assayas quiest monté aux côtés de ses personnages, lui qui n’avait jusque-là jamais atteint une telle altitude, un tel accomplissem*nt, un équilibre aussiparfait entre l’hyper virtuosité scénaristique, la fluidité absolue de lamise en scène, le classicisme souverain d’uncinéma d’observation sociale et d’étude de caractère et en même temps l’audace sidérante de véritables coups deforce formels (dont la disparition de personnage la plus sidérante depuis au moins L’Avventura et Psychose). Sur la fiche Wikipédia de Sils-Maria, onpeut apprendre (si on ne le savait déjà) que dans ce petit village des Grisons Nietzsche a eu l’intuition de l’éternel retour. Beaucoup de choses font retour en effet dans la vie de Maria Enders depuis qu’elles’approche de Sils-Maria: lesouvenir de ses débuts, un vieil amant-acteur bien relou, mais aussi

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un huis clos bergmanien traversé sans répit par les grands flux d’images, de commerce et de communication de notre monde

Juliette Binoche

unepièce, LeSerpent de Maloja, qui fit d’elle une star. Elle y interprétait une jeune séductrice pulvérisant la vie d’une femme de 40ans. La proposition lui est faite désormais de jouer la quadra effondrée d’amour. Toutrevient (des lieux, des mots, des situations), mais en prenant un tour nouveau, déplacé. Quelque chose se forme à l’horizon (la prémonition du déclin, l’entrée dans la seconde moitié –pas la plus drôle– de la vie), aussi menaçant qu’un serpent de Maloja, cetteconcrétion de nuages qui annonce que le mauvais temps est proche. Etilpourrait durer toujours. Le film procède par une double mise en abyme: interne et externe. Interne: larelation entre Maria Enders et son assistante miroite dans celle des deux personnages de la pièce qu’ensemble elles répètent. Une relation trouble où se mêlent désir et lien hiérarchique, vécus sur un mode amoureux et violent dans la pièce, larvés et maquillés en incessant badinage dans la vie. Externe: les personnages entretiennent aussi bien évidemment unjeu d’échos avec les actrices qui lesinterprètent. Parfois sur le mode de l’identité: actrice française reconnue à Hollywood, revenant au théâtre, en contrat avec des marques (la scène de shooting Chanel est presque un clin d’œil au “andshe cosmetics” d’un sketch de Valérie Lemercier), Maria Enders est moulée sur la carrière protéiforme de Juliette Binoche. Parfois sur celui du décalage: une des grandes jubilations du film est de voir l’une des plus grandes movie-stars mondiales,

Kristen Stewart donc, se glisser dans unsavoureux faux second rôle, petit robot qui a abdiqué tout ego, Sancho Panza setenant publiquement toujours un pas en arrière de Juliette Binoche. Si Kristen Stewart interprète son contraire, sa figure médiatique (la jeune actrice de blockbuster un peu agitée qui vient faire de “l’art” enEurope) est néanmoins inscrite dans lefilm, mais endossée par une troisième actrice, la teen-star de Kick-Ass, ChloëGrace Moretz. Les actrices du film, les actrices dans le film, les actrices dansla pièce du film, toutes se reflètent et composent une fascinante galerie des glaces, mi-transparente, mi-réfléchissante, où l’art et la vie sont sans cesse réinjectés l’un dans l’autre. Le film charme d’abord par l’extrême précision de sa verve satirique. DeDemonlover à L’Heure d’été, on sait l’aptitude d’Olivier Assayas à camper desmilieux sociaux très divers et à en pointer très finement les plus subtils protocoles. Dans Sils Maria (mais déjàil y a presque vingtans dans Irma Vep), il cerne toute la bizarrerie de cette petite entreprise éphémère qu’est un spectacle (film, pièce), où le code exige de gommer toutes les marques hiérarchiques et demimer une grande horizontalité amicale (les scènes d’intimité quasi conjugales entre la maîtresse et l’esclave sont de véritables bijoux de drôlerie), et où cependant les affrontements de pouvoir sont partout infiltrés, et où chacun se fera tôt ou tard humilier –et la pauvre Maria Enders de façon spectaculaire. Incisif, précis, ultra contemporain, le film l’est aussi dans sa cartographie d’une nouvelle géographie virtuelle, qui constitue désormais l’espace où chacun s’éploie. Le film entrechoque l’hyper local (les sommets alpins, les cols escarpés, la nature sans l’homme) et l’hyper globalisé (tout le gotha artistique et people mondial traverse d’une façon ou d’une autre Sils Maria). De ce magma, le film orchestre un entrelacs hybride. Toute nature d’image circule: unvrai documentaire des années20, une fausse émission de télévision, de fausses vidéos YouTube, un pastiche amusant de

blockbuster3D… Sils Maria est un huis clos bergmanien (cf. Persona) traversé sans répit par les grands flux d’images, decommerce et de communication de notre monde. La grande apnée en soi d’une retraite montagnarde y est sans cesse bousculée par le chahut planétaire. Dans l’intertexte fourni de Sils Maria, entre réminiscences, citations et pastiches, un film occupe la place particulière du palimpseste, c’est Rendez-vous d’André Téchiné (1985). Juliette Binoche y interprétait une actrice débutante et fonceuse, prête à beaucoup pour réussir ; le film exauça pour l’actrice le vœu dupersonnage et fit de Binoche une star. Olivier Assayas en était le scénariste. Ledernier plan de Sils Maria est identique à celui de Rendez-vous: on y voit en gros plan le visage d’une actrice juste avant lelever de rideau. Dans Rendez-vous s’imprimait alors une citation de l’Evangile selon saint Jean: “Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul ; maiss’il meurt, il porte beaucoup de fruit.” L’actrice de Rendez-vous avait la vie devant elle et sûrement de nombreux beaux fruits à porter. C’est plutôt la suite de la citation de l’Evangile que pourrait méditer Maria Enders tandis que le rideau s’ouvre: “Celui qui aime sa vie la perd ; celui qui s’en détache en ce monde la garde pour la vie éternelle.” Eternel retour, vie éternelle mais ailleurs, péremption de toute forme de gloire et d’attachement, le temps du film est pour le personnage celui du plus dur des apprentissages: faire le deuil de soi. Et le dernier plan sur le visage lumineux de Binoche est très beau. Le renoncement au combat y a pris un tour serein, sonregard se perd de façon énigmatique vers le haut du cadre. Que regardet-elle ? Peut-être un serpent de Maloja mental porteur de grands orages. Maismaintenant il ne semble même plus lui faire peur. Jean-MarcLalanne Sils Maria d’Olivier Assayas, avec Juliette Binoche, Kristen Stewart, Chloë Grace Moretz (Sui., All., Fr., 2014, 2 h 03) lire aussi p.62, ainsi que l’entretien avec Kristen Stewart pp.30-32 20.08.2014 les inrockuptibles 61

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Carole Béthuel/Les Films du Losange

Olivier Assayass ur le tournage de Sils Maria

les aspirations singulières Recueillies par Jean-Michel Frodon, les réflexions sincères, profondes, parfoisrageuses, d’un homme à part dans le cinéma français contemporain, OlivierAssayas, à l’affiche avec le beau Sils Maria.

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u moment où sort Sils Maria, l’un de ses films les plus beaux et les plus “mûrs”, lapublication de propos d’Olivier Assayas est opportune, d’autant que cette conversation en forme de retour sur sa vie et sa filmo estmenée par Jean-Michel Frodon, excellent connaisseur du sujet, fin serveur et relanceur. Si Assayas nous importe tant, au-delà dela qualité de ses films et de la proximité générationnelle, c’est par sa place singulière dans le cinéma français. Solitaire coincé entre la génération post-Nouvelle Vague des Eustache, Garrel, Jacquot, Akerman etcelle des Desplechin, Beauvois, Ferran, Lvovsky, Olivier Assayas raconte aussi comment il s’est senti isolé entre les tenants d’une qualité française usée et les enfants godardiens de la pseudoradicalité (seul pair revendiqué, André Téchiné, avec qui il a écrit son premier long, Rendez-vous). Débutant comme cinéaste à une époqueoù Godard prononçait la mort des “personnages” et où Daney remettait en cause le récit, l’auteur d’Irma Vep voulait au contraire remettre en jeu le romanesque, ladramaturgie, les personnages du cinéma traditionnel, mais en les revivifiant au lustre de la modernité et de la jeunesse rock

et pop. Car sa proximité avec l’univers rock, etnotamment post-punk (il écrit dans Rock& Folk, connaît Bazooka, lit la presse rock anglaise, Elli & Jacno ou Etienne Daho apparaissent dans ses premiers films, etc.), fut une autre singularité irréductible d’Olivier Assayas dans un milieu du cinéma français globalement largué en pop culture et qui n’écoutait que du classique, de la chanson rive gauche, peut-être du jazz, ou au mieux les Beatles. Enfin, en ces années80 encore fortement marquées par le militantisme politique et laqueue de comète de l’extrême gauche, Assayas fait figure de “bourgeois” àcontre-courant (ce qu’il est, mais pas plus que nombre de leaders gauchistes). Luirévère plutôt Guy Debord que Marx, Trotski ou Mao, et s’il existe une dimension politique dans son cinéma, elle se lit en filigrane dans son rapport à la jeunesse, à la contre-culture et à l’altérité, plutôtquepar de grands sujets sociaux, des récits démonstratifs ou des personnages d’opprimés. Pour le dire autrement et plus prosaïquement, Assayas est deces cinéastes qui sont plutôt du côté de la psychanalyse et de l’inconscient, du romanesque et du mystère, que de la sociologie et du vouloir dire surligné. Toutcela a été montré dans

son film Après mai, abordé dans certains de ses textes (Une jeunesse dans l’aprèsmai), et c’est redit, précisé, développé noir sur blanc dans cetouvrage, avec une pugnacité parfois rageuse qu’on ne lui a pas toujours connue. Ce dialogue au long cours passionne aussi par de multiples anecdotes, joyeuses ou douloureuses, sur la fabrication des films, sans omettre le terreau familial extraordinairement riche dans lequel lui et son frère Michka ont grandi: un père d’origine juive, grecque, italienne, scénariste pour la télévision pompidolienne et le cinéma de qualité française, une mère descendante d’une grande lignée de noblesse hongroise, un grand-père peintre connu sur les rives du Danube… toutes choses dignes d’un grand roman russe. De l’aristocratie hongroise à l’aristocratie des “jeunes gens mödernes” en passant par le nomadisme judéo-méditerranéen: dans ce triangle mouvant, fécond, incertain s’est construit cet éternel jeune homme etson cinéma unique dans le paysage français. Serge Kaganski Assayas par Assayas – Des débuts aux Destinées sentimentales (Stock), entretiens avec Jean-Michel Frodon, 280pages, 24€ lire aussi la critique de Sils Maria p.60

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Le temps qu’il fait de Nicolas Leclere

Astrid Adverbe, tout un poème Quêtes et enquêtes virevoltantes, de film en film, d’une jeune femme curieuse et baladeuse. ne salve de moyens deuxdocumentaires dus à métrages, Astrid Adverbe elle-même. dontAstridAdverbe, Sous-titrée Fantômes du comédienne passé, cette tétralogie se et réalisatrice au curieux présente comme une série pseudonyme, inconnue d’enquêtes que cette aubataillon, est la vedette. jeune femme fureteuse Deux fictions signées mène surun vécu proche ou Nicolas Leclere, et lointain, réel ou imaginaire.

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Dans Le temps qu’il fait, elle débarque à Paris, venant d’on ne sait où, squattant chez les uns et les autres, pour chercher “distraitement” (sic) son père. Dans Mé damné –Que Dieu me damne, elle rend visite à un oncle octogénaire du Midi qui a rompu avec safamille noble. Dans Prendre l’air, elle part à la recherche d’un ancien amour au bout de la France. Ma fleur maladive est une investigation sur une amitié interrompue brutalement neuf ans plus tôt… Les deux fictions sont aussi poétiques que décousues, confrontant (essentiellement) l’héroïne à toutes sortes d’hommes, sur un mode parfois abrupt. Electron libre, Astrid (alias Louise ou Colette) titille, sautille, questionne et, tel lepapillon, ne se fixe nulle part. Ses énigmes restent entières. Les documentaires sont plus discursifs et logiques: elle rend visite

quelques jours à un oncle rebelle pour comprendre les dysfonctionnements desa famille aristocrate et réac ; elle explore son cercle d’amies pour connaître la raison de la désaffection de l’une d’elles… Cesparcours dessinent un schéma singulier dans le cinéma français, en marge des intrigues rohmériennes, référence lointaine maispas exclusive. L’omniprésente (àl’image) Astrid Adverbe est un troll gentil, à la fois agent de la circulation des sentiments et maelström d’égotisme. En tout cas, une figure suffisamment vibrante et provocante pour capter notre attention. Vincent Ostria Astrid Adverbe à découvert: Fantômes du passé Mé damné – Que Dieu me damne (Fr., 2007, 44 min.) et Ma fleur maladive (Fr., 2013, 44 min.) d’Astrid Adverbe ; Le temps qu’il fait (Fr., 1999, 40min.) et Prendre l’air de Nicolas Leclere (Fr., 2009, 54min.), avec Astrid Adverbe

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Adèle Haenel et Kévin Azaïs

Les Combattants de Thomas Cailley

Un dynamitage en règle de toutes les bienséances, sociales et cinématographiques. La comédie que le cinéma français attendait ?

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ans la reconquête de la comédie française par ses forces vives, observée depuis deux ou troisans (notamment dans les sections parallèles du Festival de Cannes), LesCombattants fait figure de tête de pont. Non pas l’éclaireur qui part seul en pointe, mais plutôt celui qui consolide une brèche, dans laquelle tous les autres vont, espérons-le, pouvoir s’engouffrer. Cette ouverture, on la doit à Thomas Cailley, diplômé récent de la Fémis (2011, section scénario, la plus prolifique en cinéastes), remarqué il y a quelques années avec un beau court métrage buissonnier, ParisShanghai. L’aventure,

avec un grand A, y apparaissait déjà comme le contrepoint d’un réel un peu terne, garant d’une vérité (des hommes, des paysages, des sentiments) prétendument étouffée par le monde moderne –une quête dont Cailley soulignait au passage, avec humour, le caractère illusoire. LesCombattants poursuit cette réflexion, en l’amenant sur le terrain du sentiment amoureux, puis sur celui de la survie en environnement hostile (ce qui est au fond la même chose). Ça commence par une rencontre. Madeleine et Arnaud ont la vingtaine, la beauté, le muscle saillant et le regard un peu flottant des gens de leur âge. Ils vivent en Aquitaine, région à la fois sauvage et très réglée, à l’instar, on ne

tardera pas à s’en rendre compte, de la mise en scène de Thomas Cailley. A la mort de son père, Arnaud doit reprendre avec son frère aîné l’entreprise familiale de menuiserie, tâche à laquelle il ne s’emploie qu’à contre-cœur. Ce d’autant plus que son cœur, justement, s’est mis à battre pour Madeleine, tomboy un peu hirsute, obsédée par l’apocalypse, la survie, l’armée. “Parce que tout va péter” (elle le sait, c’est dans l’air), Madeleine s’entraîne dur, leste son sac à dos de briques avant de plonger dans la piscine, gobe des bestioles passées au mixeur ou au microondes, et rêve d’intégrer les meilleurs commandos. C’est dans ce décor, où la langueur estivale et l’ennui

attisent les désirs, que se noue la première partie d’un film moins programmatique qu’il n’y paraît. Cailley, brillant scénariste et metteur en scène précis, y déploie un art du récit, du dialogue comique et de la situation burlesque remarquable, surtout pour un premier film. On y sent à chaque instant bouillonner une sève, affleurer une tension qui ne demande qu’à exploser, mais qu’il s’agit de contenir, pour quelque temps encore. Comme le conseille, dans une scène très drôle, un militaire à Arnaud, il faut viser non pas la cible mais vingtcentimètres derrière, concentrer sa force, se projeter. C’est ainsi que les enjeux de ce premier acte, très drôle mais encore un peu

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Expendables 3 de Patrick Hughes avec Sylvester Stallone, Jason Statham, ArnoldSchwarzenegger (E.-U., 2014, 2 h 07)

sur la réserve, se déversent dans une seconde partie magnifique, où Thomas Cailley libère toutes les forces telluriques, jusqu’à un étonnant (et terrifiant) climax. Lâchés dans la nature –mais une nature, nous le disions, civilisée, ce qui crée tout un tas de décalages comiques–, les deux survivalistes cessent de se toiser et mettent enfin en pratique leur engagement jusqu’ici théorique. Pour les interpréter, Kévin Azaïs, inconnu au bataillon, est parfait en gaillard gauche à la virilité contrariée, tandis qu’Adèle Haenel, dans un registre hawksien (dominante, rusée, sensuelle), s’affirme tranquillement comme l’une des actrices françaises qui comptent le plus aujourd’hui. L’inversion des genres sexuels opérée ici se double d’un jeu sur les genres cinématographiques, que Cailley manie avec insolence. Dans un pays où l’assignation est la règle (une place pour chaque chose et chaque chose à sa place), faire se succéder librement comédie romantique, chronique provinciale, film d’aventure et film d’apocalypse, envoyer valdinguer les identités prédéfinies, et offrir à ses personnages la possibilité de choisir leur place, a quelque chose de profondément réjouissant. Débordant de désirs, LesCombattants s’affirme comme un phénoménal cri de rage, qui, à n’en pas douter, va porter loin et longtemps. JackyGoldberg

Les papys musclés du ciné d’action eighties remettent le couvert et invitent quelques (vieux) nouveaux venus. En roue libre mais sympathique. Le contrat tacite des précédents Expendables était de laisser les briscards du cinéma burné mitrailler dans tous les sens, pourvu qu’ils promènent leur mélancolie et exaucent les rêves de fans –Stallone et Schwarzenegger ! Stallone vsVan Damme ! Chuck Norris vs tout le monde ! On leur pardonnait de placer la meilleure scène d’action au début tant qu’ils égayaient la suite de clins d’œil. Expendables3 fait tout à l’envers: le finale (dans un immeuble assiégé) est assez réussi mais le casting n’a plus l’air d’y croire. Avec Schwarzie et Jet Li en figurants de luxe, Statham absent au mitan du film, le tout a l’air d’avoir souffert des emplois du temps overbookés de chacun. Acharge pour Stallone de tenir (mal) l’ensemble à bout de muscles et sortir la fausse bonne idée –une équipe de jeunes Expendables, trop verts pour faire impression, même si on compte suivre l’ultimate fighter Ronda Rousey, bonne héritière de Cynthia Rothrock. Alors on se contente des nouveaux (vieux) venus. Au cabotinage insupportable d’Antonio Banderas et à la jeanpierrebacrisation d’Harrison Ford, on préfère Wesley Snipes, toujours souple et charmant, et surtout Mel Gibson en méchant. Avec lui, l’effet Expendables (jouer de l’aura et du passif d’une star) fonctionne à fond: Mel, un peu paria à Hollywood à cause de ses frasques alcoolisées et racistes, se la joue martyr tout en poussant à l’extrême ses tendances psychopathologiques vues dans L’Arme fatale. On a de la peine pour lui tout en ayant peur de lui: c’est bien la marque d’un grand acteur. Léo Soesanto lire aussi le portrait de Jason Statham p.36 Sylvester Stallone

Les Combattants de Thomas Cailley, avec Adèle Haenel, Kévin Azaïs, William Lebghil (Fr., 2 014, 1 h 38) lire aussi le portrait de Thomas Cailley p.28 20.08.2014 les inrockuptibles 65

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Cavalo Dinheiro de Pedro Costa

Locarno refait les mondes La petite ville du Tessin s’est encore cette année faite l’écrin de trouvailles passionnantes. Dont un douloureux et lumineux film de Pedro Costa.

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n festival de cinéma est un lieu étrange fabriqué avec des fantasmes, lieu imaginaire à géométrie variable. Ce n’est pas un cirque, plutôt un labyrinthe de trajectoires entre des mondes. Ce n’est pas tellement un lieu d’histoire (du cinéma ou du présent), plutôt de géographie: géographie souterraine, que chacun arpente avec un peuple de rencontres, de croisem*nts entre des pistes de récits. Disons que ça ressemble au cinéma, à un film imaginaire qui cette année à Locarno aura épousé la géographie d’un théâtre, d’un quartier de Buenos Aires, d’un village entre la mer et la jungle, d’une cabane au Mexique, d’une base militaire, d’un hôpital psychiatrique à Lisbonne. Les films de tous ces lieux étranges construisent des mondes vibrants, vies parallèles, bribes de communautés possibles. Par eux, un festival devient ce lieu possible enclavé dans un monde invivable, désastreux, que le cinéma peut dans un même geste raconter et écarter. La Princesse de France, quatrième long métrage du cinéaste argentin Matías Piñeiro, trace en quatrième vitesse les sentiments contradictoires d’une troupe de comédiens dispersés autour du jeune metteur en scène Victor, amant absent qui apparaît soudain pour leur proposer de rejouer leur dernière pièce, Peines d’amour perdues de Shakespeare. On entre dans ce jeu de calques multiples par le milieu, à l’endroit où dans un éclair s’abolit la distinction entre l’amitié et l’amour, entre l’imitation et la vie.

Rarement un film aura parlé d’amour aussi vite et aussi bien: en montrant que c’est peine perdue d’en parler, même avec les mots d’un Grand autre, en en maintenant toutes les combinaisons possibles, toutes les versions virtuelles d’une histoire rêvée –en racontant “ce lien entre quelque chose d’extérieur et de très secret qu’un geste imprévu dévoile sans expliquer” qu’est le cinéma selon Rivette. On retrouve ce saut dans la fiction, vers un monde créé de toutes pièces dans une langue étrangère, avec la communauté fragile des conjoints de militaires de Fort Buchanan de Benjamin Crotty, premier long métrage qui compose lui aussi une bande, selon cette belle manière de travailler avec ses amis. La cabane au Mexique, celle de LosAusentes de Nicolás Pereda, se trouve pour sa part au centre d’un espace trouble, émancipé du temps. Le vieillard qui la quitte au soir de sa vie et le jeune homme qui s’y réfugie un jour se rencontrent par une nuit d’ivresse, pour rire ensemble du fait qu’ils sont sans doute les deux faces d’un même personnage. Deux âges, et le lent vertige de leur rapprochement, selon cette magie du lieu dont le cinéma sait parfois rendre l’éclat et la tristesse. Dans ce territoire variable d’un festival imaginaire, Dos disparos de Martín Rejtman construit à son tour un itinéraire complexe, où le suicide raté et inexplicable d’un adolescent emporte la vie quotidienne d’une dizaine de personnages impassibles vers un nouveau type de comique de la Grande Ville, où rien ne peut jamais changer, ni les

voitures, ni les téléphones, ni nous. C’est que le monde est au bord de se défaire. Le monde se défait. La mélancolie historique est une puissante créatrice de géographies. Lav Diaz est un cinéaste philippin trop peu connu en France, From What Is Before est son seizième film, long poème épique qui raconte l’histoire d’un village isolé entre 1970 et 1972, jusqu’à la proclamation de la loi martiale par le président Marcos, marquée par des exactions sanglantes. L’aède Diaz chante en parallèle les petites histoires des habitants, de moins en moins nombreux à résister à une malédiction tenace, une noirceur d’origine humaine ou divine, éternelle. La mémoire n’y a jamais autant ressemblé à l’oubli, c’est peut-être son lien avec Cavalo Dinheiro de Pedro Costa, immense, difficile. Costa continue son travail de longtemps avec Ventura, son ami, maçon cap-verdien de Lisbonne. Ventura est malade, le film compose avec le dédale de ses souvenirs, arrachés douloureusem*nt au silence et à l’oubli d’un monde qui n’en veut pas. Le cinéma est devenu ce dédale, terrible énigme qu’on ne pourrait résoudre qu’en l’oubliant, qu’en recommençant à vivre et à travailler. Cet irrémédiable, et la force vitale qui l’accompagne, cette douleur sourde, cette folie ici donnée en partage, c’est notre folie qui nous parle depuis un lieu étrange, un lieu d’oubli –l’oubli de ce qui est encore à venir. LucChessel 67e Festival du film de Locarno

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Lizzy Caplan s’est révélée cette année dans la superbe Masters of Sex

hello les Emmys ! La cérémonie récompensant le meilleur de la télé US voit s’affronter notamment Breaking Bad, Game of Thrones et True Detective. Du haut niveau.

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oilà soixante-six éditions que cela dure. Et pourtant, on n’en a jamaisautant parlé, du moins de ce côté-ci de l’Atlantique. LesEmmy Awards –que l’on arrêtera peut-être un jour d’appeler “les oscars de la télé”, mais pas cettefois– profitent de l’exceptionnelle forme des séries et du buzz toujours grandissant qui les accompagne. Avancée d’un mois cette année, la cérémonie a lieu à L. A. ce lundi 25 août, sousles auspices de Seth Meyers, unancien membre du Saturday Night Live désormais à la tête de sa propre émission. Lepremier signe que l’événement approchait, ces dernières semaines, a été le petit jeu du retour de bâton, très envogue à Hollywood, àl’encontre de True Detective (très sérieux prétendant à lavictoire finale dans lacatégorie meilleure série dramatique) etde son créateur, lejeune et parfois arrogant Nic Pizzolatto. Dans une interview au magazine Hollywood Reporter, celui-ci a tenté de

contrer les critiques le présentant comme misogyne, imbu de lui-même et un peu copieur à ses heures –notamment desromans de Thomas Ligotti, une filiation qu’il reconnaît pourtant aisément depuis longtemps. Résultat, Pizzolatto est apparu encore un peu plus comme le sale gosse deservice à qui on ne demande qu’une chose, la fermer. Tout de suite. Latension sera donc à son comble dans une compétition très indécise et assez excitante, puisqu’en plus de True Detective, Breaking Bad, terminée depuis septembre2013 et tenante du titre, fait tout de même partie de la liste avec Downton Abbey, Game of Thrones, House of Cards etMad Men. Alors que l’an dernier l’attention s’était concentrée sur l’arrivée de séries mises en ligne par Netflix, cetteannée les enjeux restent strictement esthétiques. Tant mieux. A ce propos, où se trouvent TheAmericans et Masters of Sex, les deux bombes de nossix derniers mois sériephiles ? On se ledemande encore tous les matins.

Aumoins, concernant la dernière citée, l’irrésistible Lizzy Caplan (révélée en 2004 dans Lolita malgré moi) pourrait coiffer aupoteau ses concurrentes au titre de meilleure actrice dans une série dramatique –malgré Claire Danes et Robin Wright. Chez les acteurs de dramas, la sélection nejurerait pas dans les plus prestigieuses cérémonies cinéma: Bryan Cranston (Breaking Bad), Jeff Daniels (TheNewsroom), Jon Hamm (Mad Men), Woody Harrelson (True Detective), Kevin Spacey (House ofCards) et bien sûr Matthew McConaughey (True Detective encore) se font face. Lacatégorie des miniséries, parfois moins riche que les autres, voit quant à elle s’affronter deux réussites totalement dissemblables, Fargo et Treme, qui n’ont par ailleurs rien à faire là –la première connaîtra une saison2, la seconde s’est achevée pendant l’hiver après quatre saisons, ce qui est contraire à la définition du terme “minisérie”. Ce genre de bizarrerie, les Emmys en sont spécialistes, le but étant de rendre

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à suivre…

Showtime

Malgré les engagements pris au mois de juillet par Mike Lombardo, le patron de HBO, aucune annonce de casting n’a été faite à propos de la saison2 de True Detective au moment oùnous écrivons ces lignes. Pressentie, mademoiselle Elisabeth Moss (Mad Men) a noyé le poisson, tandis que Vince Vaughn et Colin Farrell paraissent attendre leur heure. En résumé, la production delasérie a sans doute des problèmes, comme tout le monde. Il va tout de même falloir se dépêcher un minimum pour revenir comme prévu début 2015.

Louie est probablement l’aventure sérielle la plus folle et profonde proposée aujourd’hui

leplus large possible le spectre desrécompenses. En attendant, on espère surtout des choix engagés, voire même portés sur les objets les plus étranges qui s’efforcent de renouveler le genre. C’est le cas, du côté des comédies, d’Orange Is the New Black et de Louie. Lapremière est une série de prison auxpersonnages atypiques et au récit éclaté, laseconde est probablement l’aventure sérielle la plus folle et profonde proposée aujourd’hui –la quatrième saison, brillante, vient de le confirmer. Pour le reste, envoyons nos encouragements à Josh Charles (The Good Wife), Allison Tolman (Fargo), Benedict Cumberbatch (Sherlock), AllisonJanney (Mom), Adam Driver (Girls) et Jodie Foster, en tant que réalisatrice d’un excellent épisode d’Orange Is the New Black. OlivierJoyard Emmy Awards 2014 dans la nuit du 25 au 26août à 1 h 55 et best-of sous-titré le 26 à 20 h 50, Série Club

FX

True Detective en galère ?

génération plan cul

Girls n’est plus seule. La nouvelle comédie de FX, You’re the Worst, déchiffre avec humour lestrajectoires amoureuses de la génération Y. ême si l’été est une saison en Grey’s Anatomy fait coucou pour hausse concernant les nouvelles le onzième automne consécutif séries, il se pourrait bien le 25septembre sur ABC. Afin de donner un peu de que lachaîne FX ait voulu diffuser piment, laproduction a engagé sa nouvelle confiserie générationnelle Geena Davis, qui tiendra un You’rethe Worst (mauvais titre !) depuis rôle récurrent de chirurgienne. juillet uniquement pour la protéger dumoindre ouragan médiatique –sous le nouveaux pilotes prétexte fallacieux qu’elle parle de choses pour Amazon peu sérieuses comme le sexe et l’amour. Cinq nouveaux pilotes de série On plaisante sur la dernière partie du seront soumis au vote des raisonnement, bien sûr. Tout cela est très internautes par Amazon à partir sérieux mais il n’est interdit à personne du 28août, dont la très attendue del’évoquer avec légèreté, ou tout au moins TheCosmopolitans de Whit d’essayer. C’est d’une certaine manière Stillman, avec les géniaux lesujet même de la création de Stephen Chloë Sevigny et Adam Brody Falk, un ancien de Weeds et d’Orange Is the en expats américains à Paris, New Black tellement peu connu (et surtout ainsi que Red Oaks, réalisée par tellement scénariste) qu’il n’a même David Gordon Green et située pasencore de page Wikipédia à son nom. dans un club de tennis en 1985. Quand Jimmy et Gretchen, deuxtrentenaires, se rencontrent àunmariage et couchent ensemble, puis se revoient unefois, deux fois, etc., ils ontbeaucoup de mal à se dire que ce qu’ils MacGyver (D8, le 20 à 18 h) Les plus traversent commence à ressembler à jeunes parmi nos lecteurs pourront une“vraie” relation. Ils préfèrent s’envoyer enfincomprendre l’origine de l’expression des vannes et baiser, pas toujours dans “Tufais ton MacGyver avec ce stylo” cetordre. L’ABCde la comédie romantique en allumant la télévision comme si nous contemporaine est présent dans cette vue étions en 1989. en coupe de la générationY, avec un sens du présent assez fin. Ce sont nos voisins, True Blood (OCS City, le 25 à 20 h 40) nos frères, nos amis qui démêlent les fils Après sept saisons inégales, de leur vie affective devant nous, mêmes’ils lesvampires d’Alan Ball (Six Feet Under) habitent LosAngeles et vivent sous une quittent notre monde pour de bon, lumière qui les met en valeur tout le temps. avecun dernier épisode forcément Falk a expliqué avoir vendu le concept captivant –telle est la règle du genre. comme une version “un peu sale” deDinguede toi, sitcom nineties avec The Knick (OCS City, le 23 à 22 h 10) HelenHunt. Si You’re the Worst tient Alafois brutale et ouatée, la série la distance comme son aînée, on dit oui, médicale réalisée intégralement par encore, n’arrête surtout pas. O. J. Steven Soderbergh est un sommet de

Geena Davis dans Grey’s Anatomy

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agenda télé

l’été. Arattraper absolument, si possible sans fermer les yeux à la vue du sang.

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Dominic Sheldon

la femme-machine Avec son romantisme froid et ses talents multiples, FKA Twigs est le visage arty d’une nouvelle génération de musiciens soul. Son premier album contribue à définir la pop du futur.

Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

O

n l’a découverte en 2012 avec une série de vidéos illustrant les morceaux de son premier ep. Autoproduit, mis en écoute libre sur Bandcamp, EP1 était le bricolage d’une jeune Anglaise qui n’allait pas tarder à se faire remarquer. Unan et quelques millions de vues sur YouTube plus tard, la hype se sera comme prévu emparée de celle qui incarne le renouveau du r’n’b avec un style radical

et intime. Car FKA Twigs est non seulement le signe d’une génération capable de tout sur internet, mais surtout une artiste complète dont le premier album vient enfin confirmer les attentes. Tahliah Barnett est née à Cheltenham, dans le Gloucestershire. Sa mère est danseuse et son père trompettiste amateur ; tous deux sont mélomanes. Tahliah deviendra Twigs sans rébellion, toujours encouragée à pratiquer

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une sorte de fado de l’espace, la musique religieuse de posthumains ayant calmé l’éternelle folie des sentiments

le ballet, le gospel, l’opéra. Ce qui n’en fera pas vraiment la star du lycée. A 17ans, elle part pour Londres et assume pleinement son nom d’artiste (“twigs” veut dire “brindilles” en anglais, un surnom venant de ses os qui craquent bruyamment). Apartir de là, elle évoluera en tant que danseuse, apparaissant dans un tas de clips de Kylie Minogue, Ed Sheeran, JessieJ… Mais depuis toujours, c’est bien la musique qui semble guider sa vie. “Tout part de la musique. Sans ça, je ne danserais pas et je ne ferais pas de vidéo. C’est une pensée globale. C’est d’ailleurs difficile de dire quand j’ai commencé à m’intéresser à la musique et à la danse. J’ai toujours été très créative. La différence c’est qu’avant je m’exerçais dans mon salon, et que maintenant je m’adresse au monde.” A 26ans, Twigs est devenue FKA Twigs, désormais signée sur le label défricheur Young Turks (The xx, Chairlift, Sampha). Elle y a sorti un deuxième ep en 2013, sur lequel on retrouvait ses premiers vrais succès, Water Me et Papi Pacify. Produit avec Arca, EP2 évolue toujours selon l’idée très pop art de la série, et continue d’être illustré par des clips minimalistes et fascinants, très beaux, que les réseaux se chargeront de faire circuler de plus en plus massivement. Un an après exactement, FKA Twigs publie son premier album, logiquement titré LP1. Deux ans donc qu’on l’attendait, lui qui devait prouver pour de bon les talents mystérieux d’un pur produit de la coolosphère en ligne. Mais cette attente, FKA Twigs n’a pas l’air de s’en être souciée: “Je suis une personne assez calme. L’excitation ne m’atteint que rarement. Je ne laisse pas les choses me mettre la pression.” C’est l’assurance de toute une génération qui s’exprime. En deux ans, il n’y a pas qu’elle qu’on a vu émerger dans le spectre désormais riche de la nouvelle soul. Pendant que le deuxième album de James Blake, Overgrown, flirtait avec Brian Eno puis recevait le Mercury Prize l’année dernière, on découvrait chaque semaine une nouvelle plume passionnante, à mi-chemin entre r’n’b et ambient-music. Sohn, Banks, Ango, Rosie Lowe, Fyfe, Kwamie Liv, Josef Salvat, Ben Khan… tous ont le sens

mélodique qui contribue au retour en grâce des 90’s, et la culture électronique permettant des instrus taillés au laser, qui renversent l’évidence du chant avec des machines sophistiquées. Est-ce du post-dubstep ? de la house déstructurée ? du trip-hop rénové ? Difficile à dire. “Je ne peux pas définir ma musique. C’est ridicule comme questionnement. Il faut arrêter de toujours vouloir intellectualiser et analyser les choses. Je profite simplement de ce que je fais. D’ailleurs je n’écoute pas beaucoup de musique. Je n’ai pas d’influences précises. Les idées surgissent d’elles-mêmes.” C’est peut-être ce lâcher-prise, cette distance, ce refus de trop penser qui fait de LP1 le pur reflet d’une époque. Comme si la culture contemporaine transparaissait à travers ces pop-songs qui n’en sont pas, et que ces vagues de sons insaisissables, quoique souvent obsédants, avaient pour but inconscient de définir l’avenir. Si l’on en croit les (pré)visions de Two Weeks, Pendulum ou encore Closer, la pop serait ainsi bientôt l’expression d’un blues savant et universel, une sorte de fado de l’espace, la musique religieuse de posthumains ayant calmé l’éternelle folie des sentiments. FKA Twigs: “Tout ce qui compte pour moi, c’est de faire des choses qui me rendent heureuse. Je pourrais arrêter la musique demain si ce n’était plus le cas. Je me sens capable d’abandonner n’importe quoi et n’importe qui sur Terre. Depuis l’enfance, j’ai toujours été comme ça: si quelque chose ne me plaît plus, j’arrête et je disparais.” Maximede Abreu album LP1 (Young Turks/Beggars/Wagram) concert le 14 octobre à Paris (Maroquinerie) f-k-a-twigs.tumblr.com

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le Wu-Tang Clan de retour Les neuf membres du Wu-Tang Clan se sont récemment réunis aux USA, sur le plateau du Daily Show, pour présenter leur nouvel album, A Better Tomorrow. Raekwon, GZA, Ghostface Killah, RZA, MethodMan, Inspectah Deck, U-God, Masta Killa et Cappadonna : ils étaient tous là pour interpréter Ron O’Neal, premier extrait de ce sixième album prévu pour novembre.

Morrissey lâché par son label Moins d’un mois après la sortie du très réussi World Peace Is None of Your Business, Morrissey se retrouve sans label. Après avoir critiqué Harvest Records (manque de soutien de ses clips, absence d’invitations dignes de ce nom à la télévision…), l’Anglais a été retiré ducatalogue sans plus de déclarations. Morrissey se retrouve une nouvelle fois seul maître à bord… Reste-t-il un seul gros label qu’il n’aurait pas encore essayé ?

Leonard Cohen, hallelujah !

Kindness, round 2 Le premier album de l’Anglais Adam Bainbridge, alias Kindness quand il s’agit de musique, avait été le bel ovni de 2012. Deux ans après, il revient avec l’annonce d’une nouvelle production intitulée Otherness. On y retrouvera des collaborations avec Robyn ou encore Devonté Hynes. Mais c’est un featuring de Kelela et Ade qu’on retrouve sur World Restart, publié récemment sur internet. soundcloud.com/kindness

Après Old Ideas en 2012, Leonard Cohen semble bien décidé à ne pas laisser l’âge l’emporter et vient d’annoncer un nouvel album pour l’automne. L’auteur du légendaire Hallelujah fêtera ses 80 ans le 21septembre, date à laquelle pourrait sortir ce quinzième album. Titré Popular Problems, il sera exclusivement composé d’inédits.

Marsatac, la belle prog

Casseurs Flowters

neuf

Syd Barrett Paradis

Best Youth La nouvelle scène portugaise est en pleine explosion. Au premier rang des attentes: Best Youth, duo mixte et romantique dans la lignée de Best Coast, Tennis et Summer Camp. Soit des pop-songs gorgées de soleil, d’amour et de parfums marins. wearebestyouth.com

Du 25 au 27 septembre, Marsatac revient à Marseille pour une seizième édition téléportée dans la Friche Belle de Mai. Pour fêter la transformation récente de ce lieu culturel et urbanistique, on pourra y croiser Gesaffelstein, Acid Arab, Fakear, les Casseurs Flowters ou encore Black Strobe. Un programme aussi sexy que varié. marsatac.com

Ils sont jeunes, français, viennent de signer chez Barclay et sortiront un ep en octobre. En attendant, on découvre ces jours-ci un premier single entre dream-pop et house nonchalante. Le morceau s’appelle Garde-le pour toi : à faire tourner, donc. paradis.fm

The Boo Radleys Le 26 septembre, Martin Carr sortira The Breaks, un nouvel album sur l’excellent label Tapete Records. L’occasion de se replonger dans l’œuvre passionnante des Boo Radleys, dont il fut le songwriter: six chapitres discographiques indispensables, le dernier en date, ça ne rajeunira personne, fêtant ses 16ans cette année. booradleys.co.uk

Enfin, les albums solo de Syd Barrett font l’objet de belles rééditions: The Madcap Laughs et Barrett sont désormais disponibles en vinyle (180grammes, s’il vous plaît). Egalement au menu, un vinyle pour Opel, compilation d’inédits, prises alternatives et demos extraites des sessions d’enregistrement des deux disques.

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“on était chez moi, et on était bien défoncés. On a pris un tas de trucs”

Timothy Saccenti

Carson Cox

la bonne affaire Hymnes rutilants et guitares amples : le nouvel album des Américains de Merchandise fait sauter la banque.

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ls se nomment Merchandise et ceserait presque de la provocation. Tout, en effet, chez ces Américains deFloride, semble bouder l’esprit mercantile. Ils ont proposé leur musique gratuitement sur le web. Ils se sont produits dans des lieux atypiques, fuyant les salles de concerts. Leur musique, surtout, se fout éperdument des formats, des cibles, des étiquettes: dans un authentique esprit DIY, ces Américains fonttout tout seuls, à leur manière, sans plan de carrière, sans volonté de plaire. Pourtant, c’est ainsi qu’ils séduisent. Après deux disques confidentiels, leur ep Totale Nite leur valait l’an dernier d’heureuses critiques dans tout ce que l’hémisphère Nord comptede presse spécialisée. Le groupe remet le couvert cet été avec After the End, un nouvel album fait à la maison –le premier à sortir chez 4AD–, avec peu de moyens et tout plein de drogues.

“On était chez moi, et on était bien défoncés. On a pris un tas de trucs”, résume leurflamboyant chanteur Carson Cox. Ça n’a pas empêché Merchandise de produire son disque lui-même, et avec soin. “Ça a toujours été nécessaire pour nous deréaliser nous-mêmes la production denotre musique. Cela nous permet de vivre avec le disque. C’est comme si l’album passait sous notre peau et entrait dans nos veines, dans nos cerveaux: on écrit, on enregistre, onréécrit, on réenregistre sans cesse. Celapermet d’essayer différents types de voix, d’emmener les chansons dans plusieurs directions.” One Direction: un nom qui irait à Merchandise comme une paire de stilettos à un cul-de-jatte. Des directions, le groupe en prend des tonnes: on pense, dans ce rock mouvant et épique, aussi bien à Morrissey qu’à My Bloody Valentine, à Spacemen 3 (dont Sonic Boom avait

dureste produit l’ep Totale Nite) qu’à Swans. Ces grands écarts sonores s’expliquent parl’éclectisme de Cox, leader aux idées larges qui héberge, dans son panthéon personnel, aussi bien Nina Simone queJean Cocteau, Martin Scorsese, Frank Zappa, Marcel Duchamp ou David Bowie. Pour After the End, Cox a d’abord eu de grandes ambitions. Puis des désillusions. “Je voulais enregistrer Scott 4 (l’album culte de Scott Walker –ndlr). Je voulais un album pop très formel, dans l’esprit des disques dela fin des années60, du début des années70. Malheureusem*nt, c’est impossible à faire aujourd’hui. Aussi, j’avais envie de composer un disque très onirique sans pour autant faire un album de dream-pop ou de shoegazing. Hélas, j’ai réalisé que legroupe est encore trop jeune, trop inexpérimenté pour parvenir à faire le disque qu’il a en tête. Ceci étant, dans la musique comme dans l’art, les tentatives débouchent souvent sur des échecs, mais quelque chose d’inédit s’échappe de l’ensemble.” Ce qui s’échappe ici, ce sont dix morceaux longs et amples, portés par une production eighties soignée. Capables de parler lalangue des stades (Green Lady) comme celle des chambres (Looking Glass Waltz, oùMerchandise se fait marchand de sable), les hymnes des Américains dévoilent, derrière leur grandiloquence, de vraies compétences en écriture pop (Little Killer, parfaitement aiguisé). L’ensemble a bénéficié, au mix, de l’aide de Gareth Jones, connu pour avoir travaillé sur la trilogie berlinoise de Depeche Mode et pour d’autres bienfaiteurs sonores (Grizzly Bear, Interpol). Le résultat est épatant, et ne se marchande pas. Johanna Seban album After the End (4AD/Beggars) 4ad.com/artists/ merchandise

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Delgado Jones & The Brotherhood Delgado Jones & The Brotherhood

Bear In Heaven

L’Eglise de la Petite Folie

Time Is Over One Day Old Dead Oceans/Pias

Throes + The Shine Mambos de outros tipos Lovers & Lollypops Dans la lignée frénétique de Buraka Som Sistema, découvrez le “rockuduro”. bana ! Abana ! Abana !” Traduit duportugais, comprenez quelque chose comme : “Secoue-toi ! Secoue-toi ! Secoue-toi !” Voilà ce qu’on peut entendre sur Dombolo, single du deuxième album de Throes + The Shine. Et c’est vrai qu’on n’avait pas été secoués comme ça depuis Buraka Som Sistema, groupe qui s’acharne à populariser lekuduro depuis dix ans bientôt. Le kuduro, c’est une niche électronique née en Angola dans les années 90, et qui s’est vite propagée au Mozambique, au Cap-Vert, au Brésil… La singularité de ces Luso-Angolais, c’est de marier kuduro et rock en inventant pour l’occasion le rockuduro ! Mot qui, presque littéralement, veut dire “rock dur” en portugais. Et c’est vrai que parfois, Mambos deoutros tipos pète le crâne avec desgrosses guitares bien débiles, pour juste après amadouer avec des arpèges tranquilles à la Vampire Weekend (ces derniers ne s’inspirent-ils d’ailleurs pas de la musique africaine ?). Avec l’excellent label Lovers & Lollypops, Throes + The Shine contribue ainsi àexorciser un passé colonial douloureux en assumant pleinement ses différentes influences. Dans la danse et la transe, l’histoire se réinvente ici de la plus belle des manières: en musique, évidemment.

A

JérômeProvençal

Damien Gard

eglisedelapetitefolie.com

Jon Philpot réinvente lafaille spatiotemporelle dans un superbe album. Il en a fait, du chemin, depuis ses débuts solo et les quelques titres à rallonge de son premier album expérimental, Red Bloom ofthe Boom. Aujourd’hui en formation à trois, lemulti-instrumentiste de Brooklyn livre son album (le quatrième) le plus abouti. Débarrassé des brindilles sèches, Bear In Heaven laisse couler une sève pure aux arômes hallucinatoires. Les voix semblent se dédoubler et ricocher vers le ciel dans un kaléidoscope sonore, la musique auxéclats flous charrie petit* mirages new-wave etéchos psychédéliques. Synthés, rythmiques rageuses et effets envoient quelques décharges électriques pour innerver l’ensemble. On perd lanotion du temps sur cet album qu’on laisse glisser comme du sable entre lesdoigts, et dont le titre même se prête à toutes les interprétations. Le moment parfait, c’est toujours un peu après la réalité. On vous y retrouve. Amandine Jean bearinheaven.com

Dusdin Condren

Ricardo Almeida

Le label s’appelle L’Eglise de la Petite Folie : pas pour les gardiens du temple rock. Comme son délicieux nom le suggère, L’Eglise de la Petite Folie n’aime pas trop la normalité. En témoignent lesproductions résolument décalées, à commencer par celles du prolifique taulier, Arnaud LeGouëfflec, que lelabel brestois 100 % DIY distille depuis déjà plus de dix ans. Signée Delgado Jones &The Brotherhood, vrai-faux groupe américain mené par Jacques Creignou (ex-Poor Boy), la nouvelle livraison de cette Eglise pas très catholique exsude un vibrant désir de cavalcades soniques et carbure à la pop la plus énergique (garantie sans plomb). Démarrant avec l’irrésistible Honey Sweet et naviguant, toutes guitares en avant, entre Big Star, Buffalo Springfield et Flamin’ Groovies, l’album s’avale d’une traite et monte directement à la tête –non sans faire frétiller lesgambettes.

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Justin Lapriore

J Mascis Tied to a Star Sub Pop/Pias Rien n’a changé: en solo, l’ex-Dinosaur Jr. est toujours aussi formidable. e Bug de 1988 a laissé des traces. bons albums. JMascis, le leader du groupe, Cet album de DinosaurJr., apparu en avait donc encore sous la Converse. en pleine effusion prégrunge, est Il l’a prouvé autrement en sortant en 2011 devenu un classique que les jeunes et sous son nom Several Shades of Why, de l’époque, aujourd’hui quadras, peuvent un album solo acoustique bon comme encore écouter sans complaisance ni des demos de Dinosaur Jr. nostalgie. Après un break d’une dizaine Me again, chante-t-il en ouverture d’années (entre 1997 et 2005), DinosaurJr. de Tied to a Star, la suite de sa carrière solo. s’était reformé pour la scène, à l’occasion C’est encore lui, rien n’a changé, de la réédition de ses trois premiers et c’est toujours aussi bon. Les guitares albums, puis avait sorti l’album Beyond. acoustiques claquent (il ne leur manque Au-delà, oui, pour repartir de l’avant que l’électricité), les mélodies sont fondues sans renier son histoire. dans le moule des tubes de DinosaurJr., Ce qui, chez d’autres groupes, aurait JMascis chante de sa voix de feignasse et/ été une reformation signée pour remplir ou de fausset, qui l’impose définitivement le tiroir-caisse et sortir les fonds de tiroirs, comme l’héritier naturel de Neil Young. augurait pour DinosaurJr. d’un nouveau Parfois, quand sa guitare s’emballe dans départ, confirmé par une brochette de une transe psyché-folk, J Mascis fait plus

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Sia Tolno African Woman

N’Krumah Lawson-Daku/Lusafrica

Lusafrica/Sony

Chanteuse de combat, Sia Tolno a trouvé en l’afro-beat une arme massive. De Miriam Makeba à Oumou Sangaré, les chanteuses africaines ont toujours été à la pointe du combat. Sia Tolno, sierra-léonaise de naissance, guinéenne d’adoption, perpétue la tradition sur ce troisième album où elle adopte le style musical le plus combatif du continent:

que son âge, tourne vieux sage, et on pense à Roy Harper ou Led Zep. Mais plus généralement, c’est le style de JMascis qu’on entend ici: une sorte de torpeur bien agréable, de la mélancolie laconique, une musique du matin ou de tard le soir, un genre de diesel tout simple, pas nerveux mais endurant, voire increvable. Parmi les rares options de ce disque, JMascis chante Wide Awake en duo avec Chan “Cat Power” Marshall (qu’on entend à peine), et on se dit que cette dernière pourrait en prendre de la graine, et recommencer à sortir de bons disques. Stéphane Deschamps concert le 12 décembre à Paris (Maroquinerie) jmascis.com

l’afro-beat. Qui plus est avec à la baguette l’un de ses inventeurs, l’ancien batteur de Fela Kuti, Tony Allen. Sur African Woman, tout le monde en prend pour son grade: les leaders politiques (Rebel Leader), les policiers (African Police), les exciseurs (Kekeleh), les maris infidèles (Manu)… Souvent, Sia chante moins qu’elle ne rugit, comme une panthère qui ne décolère pas, qui ne s’apprivoise pas. Sauf quand une certaine douceur s’impose,

par exemple sur Yaguine et Fodé, d’après ces deux jeunes candidats à l’exil retrouvés morts dans le train d’atterrissage d’un avion en1999, à qui elle rend un émouvant hommage. Francis Dordor lusafrica.fr

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Audac Chouette surf-pop psyché en provenance du Brésil. Pendant que la mpb (música popular brasileira) se rénove tranquillement avec les esprits fins de Bruno Morais ou Lucas Santtana, certains s’amusent à libérer la pop brésilienne de ses origines tropicalistes. Exemple avec le premier album d’Audac, groupe originaire de Curitiba, dans le sud du pays. Produits par Gordon Raphael (connu pour son travail avec les Strokes), ces huit morceaux de surf-pop psyché se consomment sans soucis de localisation: l’esprit californien est universel. Maxime de Abreu audacmusic.com

Julio & Agosto El Ritmo de las cosas

la découverte du lab

julioyagosto.com.ar/musica

Venues d’Argentine, des comptines folk ludiques et malicieuses. Pour tous ceux qui avaient succombé aux premiers albums de The Dodos, Julio &Agosto sera une bonne nouvelle. Formé il y a septans à Buenos Aires, le groupe, déjà auteur de deux albums dont ce récent El Ritmo de Las Cosas, sculpte des folk-songs bricolos, ludiques et pleines de malice. Ils se nomment “Juillet et Août”, et il y a en effet un parfum de vacances dans cette façon de chanter sans crainte, sans loi, sans dictionnaire anglais même –en espagnol, ça bulle (Go Sailing), ça pétille (Zombis), ça fait la sieste (En cinco)… Le groupe prépare actuellement sa première tournée en Europe pour l’automne. En attendant, sa musique est à portée de clic, puisque ses deux disques sont disponibles gratuitement sur son site. Johanna Seban

Jólaköttur Fabulistes à leurs heures perdues, ces cinq Clermontois content de merveilleuses histoires entre folk polaire et pop incandescente. ans les contrées lointaines de l’Islande, une légende populaire affirme qu’un chat géant, répondant au nom de Jólaköttur, dévorait les enfants qui n’avaient pas reçu de vêtements neufs pour les fêtes de Noël. A quelques milliers de kilomètres du monstre imaginaire (mais sous un volcan), le groupe clermontois voit le jour pour la première fois en 2011, sous la forme d’un trio, avant de devenir un quintet deux ans plus tard. Comme un souffle chaud pour contrer la brise hivernale, le premier ep de Jólaköttur crépite ardemment au coin de la cheminée. Son versant lunaire folk, empreint d’une nostalgie évidente, nous projette dans la traversée du grand froid (Liner Train, Mystics) tandis que la partie pop, plus solaire, réchauffe les cœurs meurtris par le gel (Lullabies (Seasons), Wearing Socks). A chaque titre, une nouvelle saison apparaît, laissant derrière elle des mélodies familières et sécurisantes qui rappellent la douceur de Sigur Rós ou de Girls In Hawaii. Fraîchement signé chez le jeune label clermontolyonnais Freemount Records, le groupe a sorti son ep six titres en février 2014, en libre écoute sur sa page Bandcamp.

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ep Jesus Christ Fashion Barbe Windows Are Chameleons Platinum Records

Nouvel ep lo-folk épique de Normands sympathiques. Derrière ce nom qui ne plairait pas du tout à Christine Boutin se cachent quatre Normands hébergés par l’excellente maison bordelaise Platinum. Après moult concerts, legroupe sort un ep sur lequel il déroule sixpistes de ce qu’il qualifie lui-même de “lo-folk n’roll”. On y entend des chœurs épiques (Finger Is on), des guitares dégourdies (90’s) et même un vibrant hommage à une chanteuse disparue (Amy Winehouse). La barbe ? Absolument pas.

concert le 25 octobre à Dijon jesuschristfashionbarbe. bandcamp.com

Lionel Nicaise en écoute sur lesinrockslab.com/ jolakottur

retrouvez toutes les découvertes sur lesinrockslab.com Fernando de la Orden

JohannaSeban

Arnaud Bonnet

Audac Novo Mundo

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Halls Love to Give No Pain In Pop

Tumi Mogorosi Un batteur dans la glorieuse lignée du jazz sud-africain. n croirait presque entendre un jazz des années60, celui des Blue Notes de Chris McGregor et Dudu Pukwana par exemple, à l’époque où ils embrasaient les clubs de Soho après avoir fui l’apartheid sud-africain. Mais non, Project ELO n’est pas un vieux disque exhumé par un collectionneur de vinyles rares, il s’agit bien d’une production contemporaine, improvisée en deux petit* jours de studio à Johannesburg, en 2013. Perchés sur un solide socle bassebatterie-guitare, deux saxophones et un trombone s’égosillent comme s’ils voulaient souffler l’auditeur par-dessus les nuages. Quatre chœurs féminins prolongent l’envol, pendant que les rythmes de Tumi Mogorosi suivent un layon spirituel loin des effets de style et des démonstrations flambantes. Princess Gabi et In the Beginning prouvent que ce sextet sud-africain ne sacrifie jamais ses élans de liberté sur l’autel de la technique, on s’en réjouit. Chaque élément trouve naturellement sa manière de contribuer au mouvement et le plaisir de cette émancipation collective se révèle allègrement contagieux.

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Daniel Harris

Project ELO Jazzman Rec.

Remember Remember Forgetting the Present Rock Action/Pias De Glasgow, un groupe lumineux et cousin de Mogwai propose un magnifique voyage instrumental dont vous inventerez les paysages. emember Remember, projet initialement solitaire de Graeme Ronald mais qui compte désormais six membres, pourrait être un groupe frère pour Mogwai. Comme lui, il est originaire de Glasgow. Chez lui, dans le fameux studio Castle of Doom, il a enregistré ses albums. Et à l’écoute de cette troisième réalisation, produite par le patron des lieux et homme à tout faire de la ville, Tony Doogan (Belle And Sebastian, The Pastels, Mogwai…), ce n’est sans doute pas un hasard. Car ces instrumentauxarabesques étirés, pointillistes, précieux, organiques et électroniques, kraut (le sufjanesque Pterodactyl) ou plus pop (le finale renversant Frozen Frenzy), solaires et bienfaisants (splendide, immense Why You Got a Blue Face?, la lente progression du formidable La Mayo) ou, plus rarement, sombres et menaçants (Magnets), semblent être le reflet d’une certaine facette de Mogwai, la plus brillante à défaut d’être la plus bruyante, celle qui flirte avec les étoiles heureuses plutôt que celle qui plonge ses brutalités dans le cœur magmatique de la Terre. Ces huit morceaux, dont la grande densité n’empêche pas le décollage gracile, sont un formidable terreau pour les imaginations: le voyage d’une heure proposé par Forgetting the Present est magnifique, mais chacun inventera les paysages qu’il désire.

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David Commeillas

Thomas Burgel

jazzmanrecords.co.uk

rememberrememberband.blogspot.fr

A Londres, un olibrius fait écouter du chant grégorien au diable. Chez les doux dingues new-age qui s’inspirent fort de l’ambient, du post-rock et du psychédélisme pop, il y a ceux qui jouent le jeu du chamanisme urbain (Young Magic), ceux qui partent loin dans le cosmos (Solar Year) et ceux qui ne voient l’avenir qu’en une série de vertiges bruitistes (Valentin Stip). Avec un deuxième album confirmant les attentes, Halls semble proposer une nouvelle idée: réconcilier musique religieuse et démons expérimentaux. Sur Love to Give, le Londonien continue de cooliser le chant grégorien. Dans un clair-obscur fascinant s’entremêlent angélus épurés (You Must Learn to Live Again), distorsions infernales (Body Eraser/ Avalanche) et harmonies d’outre-monde, terrifiantes de beauté, que les pires mécréants se surprendront à écouter dans le noir, en levant les yeux au ciel (Aside). L’heure est aux délires mystiques. Maxime de Abreu hallsmusic.net

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dès cette semaine nouvelles locations en location retrouvez plus de dates de concerts dans l’agenda web sur inRocKsLive.com

Heart of Glass, Heart of Gold du 19 au 21/9 à Ruoms, avec Red Axes, La Femme, The Soft Moon… HollySiz + Pegase 29/9 Amiens In Paradisum XV 5/9 Paris, Glazart, avec Qoso, Kemal, Jahiliyya Fields... Insoumises 9/10 Paris, Gaîté Lyrique, avec Léonie Pernet, Planningtorock Festival lesinRocKs Philips du 11 au 18 novembre, avec Damon Albarn, The Jesus And Mary Chain, Lykke Li, Frànçois & The Atlas Mountains, Palma Violets, The Acid, Parquet Courts, Isaac Delusion…

Rock en Seine à Saint-Cloud Comme toujours, c’est à Rock en Seine que revient la tâche de clore la saison estivale en Ile-de-France. Ce week-end, Saint-Cloud recevra entre autres Lana Del Rey ou Portishead côté mastodontes, et de jolies découvertes comme ALB. Immanquable ! Isaac Delusion 7/10 Strasbourg Jazz à la Villette du 3 au 14/9, avec Nick Waterhouse, Maceo Parker, Cascadeur… John And The Volta 25/9 Paris, Nouveau Casino Levitation France les 19 et 20/10 à Angers, avec The Soft Moon, Zombie Zombie, La Femme… Renan Luce 9/10 SaintBrieuc, 17/10 Vierzon, 20/10 Troyes

London Grammar 14/10 Strasbourg Miossec 8/10 à Rouen N.A.M.E festival le 13/9 à Dunkerque, les 19 et 20/9 à Tourcoing, avec Laurent Garnier, Agoria, Brodinski… Natas Loves You 18/10 Roubaix Neon Trees 10/9 Paris, Flèche d’Or Angel Olsen 27/9 Mérignac Pitchfork Music Festival Paris du 30/10 au 1/11,

avec Notwist, Jamie xx, How To Dress Well… Rock en Seine du 22 au 24/8 à Saint-Cloud, avec Arctic Monkeys, TheProdigy, Portishead… Scopitone Festival du 15 au 21/9 à Nantes, avec Daniel Avery, Salut C’Est Cool, Fakear… St. Lô 19/11 Paris, Flèche d’Or Sébastien Tellier 10/10 Rouen 15/10 Toulouse 16/10 Cénon 17/10 Poitiers 18/10 Villeurbanne 20/10 Paris, Casino de Paris 24/10 Rennes Sohn 22/9 Paris, Café de la Danse

Violence Conjugale 15/9 Paris, Café de la Danse Jessie Ware 26/10 Paris, Trabendo

sélection Inrocks/Fnac Cabaret vert à Charleville La ville de Rimbaud accueillera le festival Cabaret vert de jeudi à dimanche. L’éco-festival mise autant sur les guitares, avec Thee Oh Sees ou Jagwar Ma, que sur les synthés, avec Metronomy ou Kavinsky. Quelques belles sensations complètent l’affiche, comme Salut C’Est Cool.

aftershow

Jipe Corre/Collectif MU

Azealia Banks 22/9 Paris, Bataclan Beyoncé & Jay-Z 12 et 13/9 Paris, Stade de France Cabaret vert du 21 au 24 août à CharlevilleMézières, avec Metronomy, Die Antwoord, Salut C’Est Cool, Schoolboy Q, Jagwar Ma… Christine And The Queens 1/10 Paris, Cigale, 15/10ClermontFerrand, 22/10Bordeaux, 23/10 Toulouse, Coconut Music Festival du 26 au 28/9 à Saintes, avec Christine And The Queens, Flavien Berger, Frànçois & The Atlas Mountains… Cold Specks 23/10 Paris, Flèche d’Or Coming Soon + Woods 16/9 Paris, Café de la Danse Concrete Knives + Samba De La Muerte 24/9 Roubaix Détroit 9/10 Strasbourg Festival Elektricity XII du 28/9 au 4/10 à Reims, avec Andrew Weatherall, Daniel Avery, Fakear, Golden Teacher… Equateur 28/8 Paris, Nouveau Casino French Pop Festival du 2 au 4/10 à Bordeaux, avec Moodoïd, Julien Gasc, Cliché, Les Deux… Fool’s Gold 24/9 Paris, Café de la Danse Golden Teachers + J.C. Satán 17/9 Jouélès-Tours

sélection Inrocks/Fnac

Low Jack aux platines

Low Jack et Mondkopf le 9 août à Saint-Denis (6B) Samedi 9 août se tenait au 6B la soirée de clôture du festival itinérant Bande originale du collectif MU. Après avoir investi le canal de l’Ourcq et proposé des parcours sonores dans des lieux atypiques, le festival a logiquement croisé La Fabrique à rêves, projet estival et transdisciplinaire organisé par le lieu dionysien. Le6B a ouvert ses portes toute la journée, fait visiter ses ateliers, projeté des films et animé sa plage avec des DJ-sets avant de se transformer en grande warehouse à la coule. Dès 22 heures, une foule d’artistes pointus et exigeants se sont échangé les platines entre le ground-floor et la scène du premier étage. On a pu y voir entre autres Low Jack, fer de lance du label L.I.E.S, étoile montante d’une techno bruitiste, grise mais amoureuse du dance-floor, et Mondkopf, jeune Français passé de l’electronica tendre à un son industriel et puissant. Sur la dizaine d’artistes programmés, ces deux-là ont prouvé qu’on pouvait faire danser les foules sans concessions, frapper avec un son lourd tout en ciselant ses effets et travailler la matière sonore sans sacrifier à l’immédiateté. Depuis un moment, Paris adopte des formats plus détendus que celui des clubs traditionnels, dans un état d’esprit plus DIY que mercantile. Et c’est tant mieux. QuentinMonville 20.08.2014 les inrockuptibles 79

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prends l’oseille et tire-toi L’ascension de trois francs-tireurs du cinéma français (Jean-Pierre Rassam, Maurice Pialat et Claude Berri) dans les années70. Une comédie flambeuse et désopilante signée Christophe Donner. 80 les inrockuptibles 20.08.2014

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Donner met en scène sa bande d’idéalistes arnaqueurs et les aime comme rarement on aime ses personnages

Frédéric STUCIN

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st-ce son rendez-vous manqué avec le prix Renaudot qui l’a mis de mauvaise humeur ? En 2007, Christophe Donner loupe de peu la consécration, crie au scandale, dénonce un lobbying acharné et se fend de plusieurs déclarations assassines dans la presse. Fin de l’histoire. Sauf que l’auteur de 58 ans est semble-t-il rancunier. De là à confondre une œuvre prolixe (L’Empire de la morale, Bang ! Bang !, Un roi sans lendemain), qui s’apparente de plus en plus à une croisade allègre contre la société de loisirs, à une revanche personnelle, il n’y a qu’un pas. Et c’est tant mieux. Paru il y a deux ans, A quoi jouent les hommes faisait une incursion de plus d’un siècle dans le milieu de la course hippique, où la passion du jeu était le prétexte à une cohorte de figures charismatiques, vénales ou mégalomanes, et souvent les trois à la fois. Le revoici au bras de trois lascars peut-être autrement plus roublards et ambitieux, mais aussi plus fragiles, perdus par leur sensibilité. Une bande d’idéalistes arnaqueurs, en somme, que Donner met en scène et aime comme rarement on aime ses personnages. Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive déploie une fresque gouailleuse et attachante autour de ces trois hérauts du cinéma français des années70: Claude Berri, Maurice Pialat et Jean-Pierre Rassam. Une note en fin de volume dit tout ce que l’auteur doit à leurs biographies respectives (même au fameux Ingrid Caven de Jean-Jacques Schuhl). Pour le reste, il invente. Claude Berri –gourou du cinéma français, producteur, réalisateur et papa de Thomas Langmann– est un “petit qui ressemble à rien”, un acteur raté “qui commence à perdre ses cheveux” ; Pialat est un chieur, déjà vieux, inconnu, frustré ; Jean-Pierre Rassam, fils flambeur et érudit d’un millionnaire libanais, claque son fric dans le poker, la co*ke et les putes avant de s’improviser producteur. Ensemble, ils vont s’aimer, se déchirer, se piquer “ce qu’ils ont de plus précieux au monde”, c’est-à-dire leurs sœurs –Pialat couche avec Arlette Langmann, la sœur de Berri, qui lui-même épouse Anne-Marie, sœur de Rassam–, et prendre d’assaut le cinéma français. Leurs armes: la folie exubérante et dépensière de Rassam (certains en feront les frais, comme sa compagne Annie), le génie drastique de Pialat, le sentimentalisme grand public de Berri. Deuxmanières de produire des films à la fin des années60 unies par un projet commun: faire la nique aux mecs de la Nouvelle Vague.

Il sont tous là : Chabrol et Truffaut, Varda et un Godard génialement incarné, alliage d’ego délirant et d’intuition messianique. L’écrivain restitue avec panache cette époque, ses références culturelles mao-libertaires, ses idées très à gauche, son ébullition intellectuelle, et une candeur teintée d’opportunisme à toute épreuve. C’est ainsi que Rassam attrape le train révolutionnaire en marche, aux côtés du réalisateur aux lunettes fumées qu’il va produire (Tout va bien, Ici et ailleurs…), suivi mollement par Berri et pas du tout par Pialat, miné par l’échec de L’Enfance nue, son premier long métrage, quatre ans avant Nous ne vieillirons pas ensemble qui lui apporte enfin la gloire. En toile de fond, Donner fait entendre le grondement du monde –le conflit au ProcheOrient, Mai 68, l’annulation du Festival de Cannes. Le cinéma aura pour mission de produire par ses images un puissant anticorps à l’impérialisme. Mais les trois acolytes tombent en désaccord et poursuivent des voies différentes en se disputant la tête du box-office: Berri en se rêvant le “Pagnol du faubourg-Poissonnière” ; Rassam en amoureux du risque, produisant Polanski, Forman et Ferreri. L’argent est au cœur de leur relation –jeux de cartes et recettes de films, en passant par la contrebande de fringues financée par Rassam. Comme chez Balzac, les sous imposent leur loi, d’abord dans leur aspect frivole, une pure dépense injectée dans des budgets branlants et un peu pirates –car, comme le dit un Rassam crâneur à son père, ce qui compte “c’est de faire des films”. Un argent à usage artisanal qui va muer peu à peu en flux monétaire, pourcentages et coûts de production, énormité des chiffres. Le roman s’ouvre par le suicide de Raoul Lévy, le producteur qui révéla Bardot dans Et Dieu… créa la femme. Un acte passionnel qui en dit long sur le destin de ces aventuriers du cinéma, à l’image du film de Mia Hansen-Løve, Le Père de mes enfants, sur le producteur disparu Humbert Balsan. Et pour cause. Dans la lutte acharnée que se livrent Berri et Rassam, personne ne gagne. Les deux héritiers naturels du cinéma français, pressés chacun d’occuper le trône, se font damer le pion par un outsider total venu de la finance, “un banquier que le cinéma amuse plus que la banque”. Chez Donner, il n’y a pas un dindon de la farce mais plusieurs. Et la comédie mondaine et grand-guignolesque nous réserve une fin au goût amer. EmilyBarnett photo Frédéric Stucin pour Les Inrockuptibles Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive (Grasset), 304pages, 19€ 20.08.2014 les inrockuptibles 81

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sommes-nous conditionnés par l’histoire ou par des souvenirs sans rapport avec elle ?

la course à la mémoire Née de parents espagnols exilés, Lydie Salvayre revient sur le combat qui a opposé franquistes et libertaires. Une réflexion sensible sur les révolutions de l’histoire mêlées à nos origines.

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n enfant lui a-t-il soufflé son titre ? Ces deux mots maladroits qui vont au plus urgent, quitte à perdre leur sujet en route. Les syntaxes trafiquées et chancelantes sont depuis près de trente ans au cœur de l’entreprise romanesque de Salvayre (Les Belles Ames, La Compagnie des spectres), et encore dernièrement, en 2007, dans Portrait de l’écrivain en animal domestique –un auteur “révolutionnaire” aimait à y saccager “le beau style”. Par cette langue volontairement fruste et parfois gauche, Salvayre a fait du roman un lieu de contre-pouvoir: contre la bourgeoisie dominante et toutes les formes d’oppressions symboliques, économiques ou sociales. Pour la fille

d’exilés, il n’y a pas eu plus sûr moyen de garder vivant un héritage familial. C’est ainsi que ses livres répercutent tous la langue révolutionnaire de ses parents déracinés, qui ont fui le franquisme dans les années 30 en raison de leur conviction politique et appris tardivement le français. L’auteur a pourtant attendu soixantesixans pour évoquer sa famille. “Je n’avais jamais eu, jusqu’ici, le désir de me rouler (littérairement) dans les souvenirs maternels de la guerre civile (…). L’heure est venue pour moi de les regarder.” Pas pleurer réanime la voix de la mère, Montse, une femme âgée souffrant aujourd’hui de troubles de la mémoire. Le récit morcelé de sa jeunesse nous conduit en pleine guerre d’Espagne, au cœur du fameux été1936 qui vit lajeunesse révolutionnaire se soulever

contre l’oppression des propriétaires terriens et la terreur semée par unchef de guerre nommé Franco. A ce récit “plein de méandres et de trous”, dont Salvayre restitue les hésitations, fautes de français et gros mots comme s’il s’agissait de la chose la plus précieuse au monde, s’entrelace l’expérience de Bernanos. L’écrivain, fervent catholique profondément choqué par les exactions des nationalistes adoubées par l’Eglise, finira, l’âme mortifiée, par s’engager. Ce sera dans Les Grands Cimetières sous lalune, son pamphlet anticlérical contre Franco publié en 1938. Evitant tout pathos familial, Salvayre s’appuie sur des documents pour établir l’ultraviolence d’un régime: épuration nationale, délation… Cette somme documentaire, elle la touille de sa fougue, de ses propres questions et de sa colère. Enfant de la révolution –fruit de l’union entre deux républicains espagnols tandis que sa sœur aînée a pour géniteur un soldat français que les deux gamines surnomment “André Malraux”–, Salvayre se cogne à une énigme: celle qui fait coïncider le massacre d’un peuple au passé idéalisé par sa mère. Sommesnous conditionnés par l’histoire ou par des souvenirs sans rapport avec elle ? Existe-t-il deux souffles révolutionnaires –l’un romantique et brutal, l’autre prudent et modéré ? Quel rôle politique y joue la littérature ? Autant de questions soulevées par cette fresque familiale épique et brûlante. Emily Barnett photo Frédéric Stucin pour Les Inrockuptibles Pas pleurer (Seuil), 288 pages, 18,50 €

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(500) jours ensemble de Marc Webb (2009)

l’amour au temps du marché Un premier roman d’une froideur implacable sur les amours d’un jeune intellectuel de Brooklyn. Une réussite signée Adelle Waldman, chouchou de la critique américaine. u New Yorker au New son ex très sophistiquée, les défauts physiques York Times, le premier il tombe sur une fille avec d’Hannah, et prend ses roman d’Adelle qui il a couché quelques distances ; elle, elle ne sait Waldman a été élu fois et qui a dû se faire plus comment lui plaire, et meilleur roman de l’année avorter. Il l’a accompagnée lui se met à la mépriser de 2013 par toute la presse durant toutes les étapes la voir ainsi s’abaisser, et en américaine qui compte. de l’avortement, certain devient quasiment sadique. Née en1977, elle signe d’être ainsi un type bien, Elle l’affronte plusieurs fois, un roman générationnel puis cessant radicalement il se dérobe en disant qu’il plus fin, plus ambitieux que de la voir, pensant encore ne veut pas la perdre –en les autres, mettant en scène qu’il agit au mieux. Or fait, il craint terriblement quelques trentenaires sur la fille le traite de connard. la solitude. Quand elle fond de Brooklyn branché, Plus tard, chez Elisa, il le plaquera, il souffrira rêvant tous de devenir rencontre Hannah, une belle trois jours, se complaisant “grantécrivain” et de signer intellectuelle rêvant dans une pseudo culpabilité, dans les magazines les plus elle aussi d’écrire un livre. avant de s’empresser importants, mais tellement Le roman d’Adelle de draguer une autre fille. autocentrés qu’on se Waldman tourne en grande “Aurait-il la chance demande s’ils parviendront partie autour de l’histoire de rencontrer un jour une un jour à écrire un texte d’amour que vont nouer fille sans tics agaçants ni intéressant. L’auteur Nathaniel et Hannah. Un imperfections physiques?”: préfère ausculter leur vie amour glacé, où aucun ne dit cette phrase dit tout. amoureuse, à travers à l’autre qu’il l’aime (juste Et c’est la force de les aventures et le point des “je t’aime bien”, ou “je Waldman, de déconstruire de vue d’un jeune homme, t’aime beaucoup”, seulement par le menu une relation, NathanielP. avoués quand ça crise), et d’épingler en quelques La première scène du et où l’incompréhension mots la véritable épouvante livre est d’anthologie. s’installe vite. Nathaniel qui se joue en filigrane En allant dîner chez Elisa, commence à remarquer dans une liaison, une vie, une époque. Au fond, Nathaniel n’est ni sexiste, ni même misogyne: il ne le héros n’est ni sexiste, ni même fait que rêver d’un produit parfait, dans un temps misogyne: il ne fait que rêver d’un rompu à la consommation produit parfait, dans un temps rompu et au matérialisme. à la consommation et au matérialisme Un consommateur froid,

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inhumain, qui applique à sa vie sentimentale les règles du marché. Il serait facile d’y voir un symptôme typiquement américain. Mais ce qui touche dans La Vie amoureuse de NathanielP., c’est son universalité. Les hommes de ce genre sont partout, et forment contre toute attente un type très répandu dans les milieux dits “intellectuels”. Ici, la réussite de Waldman relève de son talent, et pour tout dire de sa perversité à écrire du point de vue masculin, et à nous le donner à évaluer en toute neutralité – à croire qu’elle a dû elle-même rencontrer plusieurs de ces spécimens, les aimer puis en revenir, enfin les disséquer. On ne révèlera pas la fin, mais elle est d’une ironie assez réjouissante. Nelly Kaprièlian La Vie amoureuse de Nathaniel P. (Christian Bourgois), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne Rabinovitch, 336 pages, 19 € 20.08.2014 les inrockuptibles 83

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Christine Montalbetti Plus rien que les vagues et le vent

Dean Martin et Jerry Lewis dans Fais-moi peur de George Marshall (1953)

P.O.L, 288 pages, 16,90 €

cauchemar hollywoodien Hollywood, providence des écrivains américains ? Publié en1979, le cinquième roman de Don Carpenter s’ajoute à la liste des chefs-d’œuvre inspirés par l’usine à rêves.

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ne sacrée bonne histoire, même si son bruit et sa fureur émergent des propos d’un idiot. Ou plus probablement parce qu’elle a pour narrateur un idiot professionnel, rémunéré pour afficher un sourire de benêt. Face aux caméras, les mimiques de David Ogilvie valent de l’or ; loin des projecteurs, cet acteur de comédies traîne un moral de plomb, dérive de tournage foireux en naufrage amoureux, se réveille dans des vapeurs d’alcool et dispose dans sa loge d’une armoire contenant “le hit-parade des stupéfiants, le top ten des drogues légales, le hall of fame pour torturés du bulbe –Valium, Percodan, Quaalude, Benzedrine, Ritaline, amphétamine, biphétamine…” Aucune de ces substances n’est toutefois de nature à altérer sa lucidité: de Sunset Boulevard à Las Vegas, David promène sur les coulisses du show-business le regard acide qui fait du cinquième roman de Don Carpenter un délice de désabusem*nt et de drôlerie tragique. Lui-même vétéran d’Hollywood –il y signa en 1973 le scénario de Payday, le film le plus impitoyable qu’ait à ce jour inspiré l’univers de la musique country–, Carpenter a consacré à l’usine à rêves trois romans, dont le second (mais le premier à bénéficier d’une traduction française) retrace en 1978 la carrière d’un duo de comiques.

D’un côté, un dieu du cool ; de l’autre, son satellite aux tripes nouées par le trac. Calquées sur celles du binôme fifties Dean Martin/Jerry Lewis, mais transposées dans les années 70, les aventures de David Ogilvie et Jim Larson débutent par les obsèques d’un aïeul, qu’ils enterrent en douce au bord d’une piscine infestée de larves de moustiques, avant de se poursuivre dans un marécage plus fangeux encore, où grenouillent parasites et prédateurs. Passée cette métaphore de l’inhumation du septième art, Deux comédiens tourne le dos au registre de la déploration facile. Loin d’adopter des poses rebelles, David et Jim collectionnent starlettes, show-girls et serveuses, traînent leur désenchantement de sauteries en beuveries et tirent parti des largesses d’un système leur garantissant de généreuses doses d’adulation –“C’est ça l’amour, mes amis, et au diable le reste.” Qu’importent les remugles, pourvu qu’on ait l’ivresse: en enregistrant d’une plume pince-sans-rire les coutumes d’une tribu d’hédonistes, Carpenter ajoute un chapitre à un étrillage d’Hollywood dont les épisodes précédents furent signés Nathanael West, Budd Schulberg et Joan Didion. BrunoJuffin Deux comédiens (Cambourakis), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy, 224pages, 21€

Roman sous influences sur les naufragés du rêve américain. Une dérive au long cours. Dans la petite ville californienne de Cannon Beach, tout se passe dans un bar baptisé Le Retour d’Ulysse. Ceux qui s’y retrouvent sont des naufragés de l’Odyssée américaine. Des hommes à la dérive, victimes des mirages du rêve made in USA, comme les compagnons d’Ulysse le furent du chant des sirènes. Colter a tout perdu: son boulot, sa maison achetée à crédit, sa femme et ses enfants. Shannon, lui, pleure un frère mort en Irak. Et puis, il y a Perry, largué par sa petite amie, qui refait le périple de Lewis et Clark, deux explorateurs qui traversèrent l’Amérique d’Est en Ouest. Ils ont tous échoué là, au bord de l’océan. L’écume des vagues se mêle à celle des bières qu’ils enchaînent chaque soir. Parmi eux, un intrus: le narrateur, un Français qui a trouvé refuge dans un motel au nom woolfien, The Waves. Il sait que cette aventure finira mal et le roman est suspendu au drame annoncé. Après deux escales au Japon, Christine Montalbetti, auteur de Western et Journée américaine, retrouve les Etats-Unis et ses tics d’écriture: adresses au lecteur, descriptions méticuleuses, jeux intertextuels. Autant de digressions parfaitement maîtrisées, mais dans lesquelles la narration finit par s’embourber, prisonnière d’un dispositif éprouvé. Et le lecteur, à son tour, s’enlise dans cette atmosphère épaisse et moite. Comme un film passé au ralenti. ElisabethPhilippe

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Toni Frissell/Library of Congress

le désir de se revendiquer d’une esthétique, d’une sensibilité artistique ou intellectuelle

Frida Kahlo (ici en 1937) est l’un des personnages de Viva de Patrick Deville

l’autre, c’est moi D’Elvis Presley à Zidane en passant par Salinger, les stars de tous horizons envahissent la rentrée littéraire. ette année, les programmes LaMartinière) et Elvis Presley (Bye bye de larentrée littéraire ont des Elvis de Caroline de Mulder, Actes Sud) allures de bottin mondain ou qui devisent musique autour d’un spritz, de soirée people rêvée. Les romans leproducteur Jean-Pierre Rassam de l’automne nous convient à une grande chez Christophe Donner (lire p. 80)… fête ultraselect qui réunit les icônes d’hier Mais à tout seigneur tout honneur, et d’aujourd’hui. Dans cette party VIP lesvraies stars de ce co*cktail littéraire se côtoient le peintre glam-rock Robert sont évidemment les écrivains: JDSalinger Malaval (Visible la nuit de Franck Maubert, chez Frédéric Beigbeder, mais aussi Fayard), la photographe Diane Arbus dans Mon année Salinger de Joanna Smith (Une vie à soi de Laurence Tardieu, Rakoff (Albin Michel), Stephen King Flammarion), Marcel Cerdan (Constellation chez Alexandra Varrin (Une semaine dans d’Adrien Bosc, Stock) et Zinedine Zidane la vie de Stephen King, Léo Scheer), Percy (Chant furieux de Philippe Bordas, Gallimard), et Mary Shelley chez Judith Brouste (Le qu’on imagine s’échanger leurs astuces Cercle des tempêtes, Gallimard), Bernanos muscu et coups de boule, Arnold Schönberg chez Lydie Salvayre (Pas pleurer, Seuil, (Harmonie, harmonie de Vincent Jolit, lire p.82) et Malcolm Lowry chez Patrick

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Deville (Viva, Seuil). Comme au cinéma, latendance littéraire est donc au biopic ou, pour user d’une terminologie plus adaptée, à la biographie romancée. Déjà prononcée l’année dernière, la “starisation” prend unessor inédit en cette rentrée. Une solution de facilité offrant à des écrivains en panne d’imagination des personnages et des intrigues prêts à l’emploi ? Au-delà de cette vision superficielle, lephénomène s’explique sans doute aussi par le désir des romanciers de s’inscrire dans une filiation, de se revendiquer d’une esthétique, d’une sensibilité artistique ou intellectuelle, surtout à une époque qui en a fini avec les écoles littéraires et lesmanifestes fédérateurs. S’emparer de la vie d’un autre, a fortiori d’un artiste, permettrait ainsi de s’extirper d’une solitude qui menace de tourner au solipsisme, de lutter contre une forme d’individualisme créatif et même d’individualisme tout court. C’est certainement dans le dernier livre de Patrick Deville, Viva, que cette idée d’affinités électives s’exprime le plus directement. Sur fond de Mexique révolutionnaire se croisent Malcolm Lowry, Léon Trostsky, Frida Kahlo, Antonin Artaud, André Breton et beaucoup d’autres. Pour relier tous les points de cette constellation, Patrick Deville parsème son texte de ces quelques mots empruntés au Henri V de Shakespeare: “We band of brothers”. Des mots qui viennent scander le récit pour réaffirmer l’appartenance à une communauté qui transcende l’espace et le temps. Elisabeth Philippe

la 4e dimension fronde anti-Amazon Donna Tartt, Salman Rushdie… et neuf cents auteurs ont publié un texte dans le New York Times pour soutenir Hachette, qui refuse de casser les prix du livre numérique contre la volonté d’Amazon. En France, Aurélie Filippetti fustige les “pratiques inqualifiables” du cybermarchand. On peut toujours acheter ses livres en librairie ou sur lalibrairie.com et leslibraires.fr.

Richard Ford, vedette américaine Le romancier sera la star de plusieurs manifestations littéraires, dont le Festival America (du 11 au 14 septembre) et Le Livre sur la place à Nancy (du 12 au 14). En novembre, il publiera une nouvelle aventure de Frank Bascombe, Let Me Be Frank with You (Ecco).

Julien Gracq inédit Intitulé Les Terres du couchant (José Corti), ce texte del’auteur du Rivage des Syrtes, disparu en 2007, paraîtra début octobre. Ce récit, écrit dans les années 50, décrit la ville d’un royaume assiégé par des barbares.

Martin Amis en VO Un an après le virulent Lionel Asbo, l’état de l’Angleterre, Amis, le virtuose de la provoc, revient avec The Zone of Interest (Jonathan Cape, le 21 août), une histoire d’amour et de sexe qui se déroule à Auschwitz et qui devrait une fois de plus provoquer quelques remous.

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Hergé et Philippe Goddin La Malédiction de Rascar Capac –Les secrets du temple du Soleil Editions Moulinsart/Casterman, 176pages, 25 €

musique au poing Après avoir longtemps mené les héros de Klezmer selon un rythme entraînant, Joann Sfar clôt sa série sur une note dramatique. Beau et déchirant.

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epuis ses premiers livres, JoannSfar raconte que ce sont ses personnages qui, en faisant entendre leurs voix, s’imposent àlui. Les protagonistes de Klezmer ont su être convaincants et persistants: la série aservide fil rouge àune dernière décennie pourtant ultra prolixe pour son auteur. Certainement parce qu’elle lui permet de pratiquer delamusique sur papier tout en glissant dans son entraînante partition des considérations politiques, de multiples histoires d’amour, quelques échos familiaux (selon Sfar, le jeune Yaacov représenterait son grand-père maternel). Les aventures de son groupe de musiciens installé à Odessa sont fortement enjouées, ponctuées d’éclats cocasses (laséance de drague et d’acrobaties lors du tome 4, Trapèze volant !). Une légèreté soulignée par les couleurs directes réalisées à l’aquarelle, accompagnement lumineux et imprévisible. Mais les mélodies rieuses ne peuvent couvrir les notes tragiques. Car, dans cette Odessa du début du XXe siècle, les armes sont autant àportée de main que les violons ou les banjos. D’ailleurs, l’équilibre chantant

delasérie bascule radicalement vers ledrame avec ce cinquième tome. La belle Hava continue de mettre son monde en émoi –une journaliste et un vieil écrivain rejoignent même sonfan-club– mais les affaires de cœur et la musique passent à l’arrière-plan. Si, il y a dix ans, la série s’ouvrait sur une tuerie –des musiciens juifs éliminaient froidement des concurrents–, elle se termine sur l’évocation du pogrom deKishinev de 1903. Meurtri par la haine qui règne actuellement entre trop de peuples, Sfar inscrit son récit dans les pas de l’horreur de l’histoire à peine passée. Ilabandonne la délicieuse désinvolture qui constituait en partie le charme de Klezmer pour faire de déchirants adieux à ses héros. C’est un crève-cœur de voir l’autrefois truculent Tchokola devenir un exécuteur féroce ou le violoniste Vincenzo négliger son instrument pour le plaisir de manier lesarmes. La fête est terminée mais le feu d’artifice graphique de Kishinev-desfous est à la hauteur de l’émotion.

L’aventure comme dans les années 40. Eh non, mille sabords, le diptyque formé par Les SeptBoules de cristal et Le Temple du Soleil (albums parus en 1948 et 1949) n’a pas encore révélé tous ses mystères. Cette belle réédition au format à l’italienne (premier tome sorti au printemps) remonte jusqu’à la source même de cet important jalon de la BD d’aventures franco-belge. On y découvre les planches telles que publiées dans la presse de l’époque (Le Soir pour Les Sept Boules…, Le Journal de Tintin pour Le Temple…). Soumis à l’exigeant rythme du feuilleton, Hergé prend son temps dans cette aventure péruvienne, développe des séquences qu’il gommera ensuite pour des raisons de place ou de rythme. Pour le lecteur un minimum tintinophile, le plaisir de lire ces versions non expurgées aux couleurs délicieusem*nt vintage se révèle savoureux. D’autant qu’en parallèle lespécialiste Philippe Goddin nous emmène enpage de gauche de l’autre côté de la table à dessin. Ilmultiplie les ponts avec larare documentation dont ledessinateur disposait à l’époque pour concevoir son récit échevelé. Pour plus de réalisme, Hergé demandait aussi à Edgar P.Jacobs demimer certaines actions qu’il croquait sur le vif. V.B.

VincentBrunner Klezmer 5 – Kishinev-des-fous (Gallimard), 128pages, 19,90€ 20.08.2014 les inrockuptibles 87

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en tenue de combat Le Théâtre du Peuple de Bussang consacre sa saison au Québec et soutient les intermittents par le jeu et la lutte. Rencontre avec Vincent Goethals, son directeur.

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vec cent dix-neuf éditions à son compteur, la saison estivale duThéâtre du Peuple détient haut la main la palme du plus ancien festival de théâtre de France. Véritable lieu de pèlerinage culturel pour la population vosgienne, lerendez-vous initié par l’industriel du village, le dramaturge et poète Maurice Pottecher (1867-1960), est dédié cetteannée à la scène québécoise. Pour autant, l’institution n’échappe pas aux réalités de l’époque en s’inscrivant, à sa manière, dans le vaste mouvement revendicatif des intermittents et des précaires. Ici, chaque membre del’équipe artistique porte un carré noir barré d’unecroix blanche pour marquer son engagement. Sur le parvis, une tente estconsacrée à la signature d’une pétition de soutien, un tableau noir est là pour recueillir les réactions du public et chaque soir, les spectateurs réunis devant lethéâtre sont invités à poser pour une photo de groupe envoyée àlaministre de la Culture et aux diverses tutelles concernées. “En 2003, j’étais de ceux qui ont voté lagrève au Festival d’Avignon, rappelle lemetteur en scène et directeur Vincent Goethals. J’avais opté pour la grève enpensant: ‘On va rester dans les théâtres, onva expliquer les raisons du mouvement.’ Au lieu de ça, les théâtres ont été fermés deuxjours après… Plus de public, plus dedébats, et chacun est rentré chez soi avec le sentiment d’avoir tout perdu. Dès notre première assemblée

générale, j’ai évoqué mon expérience en précisant queje ne voulais pas la revivre. Nous sommes desmétiers de création, et il me semble qu’àce titre c’est aussi notre rôle d’inventer une manière de lutter qui ne passe pas obligatoirement par l’annulation pure etsimple. A Bussang, on essaie d’adapter lemessage à faire passer en fonction duspectacle, de considérer comme une priorité le travail d’information. Si je repense à ladouleur encore vivace du fiasco de 2003, c’est une vraie fierté pour l’équipe etpourmoi d’avoir réussi à garder le théâtre ouvert en conciliant le fait de jouer et celuiderécolter chaque jour les témoignages dessoutiens qui s’expriment depuis lesrangs des spectateurs.” Autre preuve de l’intrication entre l’artistique et le politique caractéristique de cette édition, une lettre ouverte del’artiste associée Carole Fréchette (écrite àl’occasion de la campagne électorale de2014 à Québec) est affichée sur les portes des salles. En brodant sur lethème “Si j’étais ministre de la Culture…”, ladramaturge nous donne à lire un texte plein d’humour où elle décrète d’emblée la tenue de “journées sans

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Eric Legrand

Catalina in fine de Fabrice Melquiot

culture” bannissant toute trace d’art de notre quotidien. “Tousles iPod verrouillés, tous les clips de YouTube brouillés. Journées sans spectacles, sans représentations, sans aucune forme defiction. Pas de cinéma, ni en salle, ni chez soi, pas detéléséries ni de webséries, pas d’émissions pour enfants, pas de théâtre, pas de danse, pas de performance, pas de cirque, pasdespectacles de rue, interdiction d’ouvrir unroman, un recueil de nouvelles, un livre depoésie, un essai, une bande dessinée…” Lalitanie d’un désastre annoncé, celui dudésert culturel qui nous menace si lespolitiques ne préservent pas, au Québec comme en France, le statut des artistes. Révélatrice de la méthode Fréchette, cette mise en bouche est à l’image de l’écriture dramaturgique de la Québécoise, qui aime à pointer les détails de la vie courante pour repenser le monde enconjuguant réflexions sur l’intime et lesociétal. Ainsi en est-il, dans une mise en scène de Vincent Goethals (visible à 15 h), de sa pièce Small Talk, où elle s’attache àrésoudre l’épineux problème de sa jeune héroïne, qui ne sait comment amorcer uneconversation

la litanie d’un désastre annoncé, celui du désert culturel qui nous menace si les politiques ne préservent pas le statut des artistes en parlant de sujets sans importance. L’occasion d’un décryptage cocasse des rapports humains, qui oscille sans crier gare entre le rire et l’émotion. Dans la même salle (à 20 h 30), et toujours dans une mise en scène de Vincent Goethals, Catalina in fine de Fabrice Melquiot témoigne de la volonté du maître des lieux d’élargir le champ de sa programmation aux familles à travers un spectacle “touspublics” transformant la traditionnelle ouverture des portes du théâtre sur les sous-bois de la forêt vosgienne en unhappening psychédélique qui restera dans toutes les mémoires.

Autre témoignage de la vitalité de la scène québécoise, la performance de l’actrice Marie-Eve Perron, découverte dans lespièces de Wajdi Mouawad, quiinterprète en alternance (à 18 h 30) etàguichets fermés deux monologues de son cru… Ledévastateur Marion fait maison, consacré à un apocalyptique repas de fêtes, et Gars, l’histoire d’une séparation amoureuse aussi dramatique que drolatique. Nouveauté de cette édition, l’invention d’unrendez-vous à11 h 45, qui propose une troisième mise en scène de Vincent Goethals consacrée àD’Alaska duMontréalais Sébastien Harrisson, qui s’attache avec délicatesse àretisser les liens entre les générations. Résultat, Bussang est en lutte, mais sessalles sont combles à presque toutes les heures du jour et de la nuit. Un pari gagné pour Vincent Goethals, qui vient d’être reconduit à la tête de l’institution pour un nouveau mandat qu’on lui souhaite aussi réussi et inventif que le premier. PatrickSourd 119e Festival du Théâtre du Peuple jusqu’au 24août à Bussang (88), tél. 03 29 61 62 47, theatredupeuple.com 20.08.2014 les inrockuptibles 89

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Courtesy The Abraaj Group Art Prize, courtesy des artistes et galeries In Situ Fabienne Leclerc (Paris), CRG (New York), The Third Line (Dubaï)

A Letter Can Always Reach Its Destination/ Une lettre arrive toujours à destination,2012 (installation vidéo)

au pays des scams A la Villa Arson, les Libanais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige décryptent les enjeux de la domination du Nord sur le Sud à travers un jeu vertigineux sur les “pourriels” que nous recevons chaque jour dans nos boîtes mail.

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e scame, tu scames, ils nous ont scamés. Si cet anglicisme ne souffre pas les fantaisies de la conjugaison française, il fait l’objet, dans la dernière exposition de Joreige et Hadjithomas, d’une déclinaison massive. Le verbe scamer, si tant est qu’il existe, nous vient du mot scam, qui signifie “arnaque” ou “escroquerie” en anglais. Il est le cousin du spam, qui lui-même entretient une lointaine parenté avec un épisode mythique des Monty Python dans lequel MrandMrsBun se voient servir une viande en conserve éponyme qui finit par envahir toutes les assiettes. Des scams, vous en avez forcément déjà vus, ou plutôt lus, qui inondent vos boîtes mail, commençant le plus souvent par “Je m’appelle Suzansne Malongo, Sora Arafat ou Malik Touré” et font état d’une grosse somme d’argent gagnée à la loterie, ou héritée de parents défunts, que l’escroc vous propose de faire transiter par votre compte Western Union moyennant une somme d’argent. Autrement appelées “fraudes 419” (du nom de l’article de la loi qui sévit au Nigeria, d’où partent la majorité de ces mails crapuleux), ces arnaques du réseau occupent cet été une place centrale dans l’enquête menée par les artistes libanais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige à la Villa Arson.

Débutée en 1999, elle prit d’abord la forme d’une collecte virale et massive. Soit plus de quatre millescams répertoriés puis classés en fonction de leur provenance et de leur empreinte géopolitique. Dans la grande salle carrée de la Villa Arson, c’est sur une agora bourdonnante que s’ouvre l’exposition. Une fois franchie la barrière du son et la rumeur du monde, on y croise des prétendants (en fait des acteurs non professionnels castés dans les rues de Beyrouth) aux rôles d’anonymes éplorés mais aussi de veuve de Yasser Arafat, de fils aîné de Moubarak ou de secrétaire du milliardaire russe Khodorkovski. Car, comme l’expliquent les deux artistes libanais, à travers cette pratique vieille de plusieurs siècles mais réactualisée avec le net, il s’agit bien d’établir “une cartographie mondiale des conflits et de la corruption”. Qui, au fil des années, par souci de crédibilité, suit le fil de l’actualité, des guerres, des affaires et des déplacements. Parmi les trente-huit comédiens invités à interpréter face caméra ces “pourriels”, Joreige et Hadjithomas ont flairé la perle rare. Elle s’appelle Fidel, ancien scameur du Nigeria. Aujourd’hui coach sportif au Liban, c’est lui qui livre les ficelles et le dessous des cartes. Et permet de suivre pas à pas les mécanismes de croyance

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il s’agit bien d’établir “une cartographie mondiale des conflits et de la corruption”

le moule est cassé A 61 ans, la sculptrice française Anita Molinero, sous-estimée sauf par ses pairs, livre une exposition impeccablement sinistre à Dijon. n ne connaissait pas trop en milieu de carrière (elle est née Anita Molinero. C’est-à-dire en1953), qui pointe dans une qu’on visualisait assez vite galerie française d’envergure son travail, ses sculptures moyenne et qui sculpte des matières en poubelles cramées et ses murs et des objets moches avec plastifiés sous Cellophane, mais pas une virilité punk. Enfin, professeure plus et sans plus. Cette indifférence aux beaux-arts de Marseille, bienveillante, on n’est d’ailleurs elle semble avoir plus d’influence pas les seuls à s’en être montrés sur les jeunes artistes (Stéphanie coupables: aucun musée en France Cherpin, ou Florent Pugnaire (le Mamco où elle a exposé en 2012 et David Raffini avec lesquels elle a est suisse…) n’a jamais daigné exposé) que sur le reste du monde. lui accorder un peu de ses espaces. Autrement dit, elle incarne ce profil Du coup, les quinze dernières lignes aussi enviable que maudit de l’artists’ de sa biographie affichent artist, de l’artiste estimé, écouté et un tour de France des centres d’art copié, prolongé plutôt, voire adapté, (le Frac Basse-Normandie, le Frac par les autres artistes. Alsace, la BF15 à Lyon, la galerie Mais son exposition à Dijon fait Edouard-Manet à Gennevilliers) éclater des raisons plus profondes. très respectable mais pas à la Oui, ce travail est perturbant, hauteur de la force de cette sculpture sinistre, difficile à encaisser, à de chair et de plastoc, belle digérer. L’odeur nauséabonde qui et terrifiante telle qu’elle se répand plane dans les salles du Consortium au Consortium. vient de la méthode suivie par Anita Alors à quoi attribuer sa sousMolinero. Elle brûle au chalumeau exposition et sa carrière en demides plaques de polystyrène extrudé, teinte ? A ces raisons-ci, et il y a du plastique moulé ou thermoformé, le choix: Anita Molinero est des séparateurs de voies sur une artiste femme, française, les routes ou de gros récipients pour stocker l’eau. Partiellement fondues, ces formes, qui organisent (voire dirigent) la vie collective, les sens de circulation, l’approvisionnement, gisent là, ravagées, gondolées, ramollies, pendues au plafond pour certaines comme des carcasses écorchées. Qui évoquent aussi des monceaux de déchets postindustriels. Sauf qu’ici, à la différence d’Arman et de ses Accumulations, Anita Molinero n’utilise que des contenants, pas le contenu. Par ailleurs, elle n’entasse ni ne compresse. Elle brûle ce qui informe, donne forme et direction. Elle s’attaque aux moules. Ce qui explique que d’autres ne lui pardonnent guère de n’être entrée, elle-même, dans aucun.

qui se mettent en place. Car, comme le rappelle Joana Hadjithomas, “on a beau savoir depuis le début que ce sont des arnaques, on y croit quand même”. Et les deux artistes d’ajouter: “Ce projet s’inscrit dans la continuité de nos propres recherches: comment arrive-t-on à croire à nos images, à nos récits ? Comment faire illusion ?” Reste ce tour de force opéré à miparcours de l’exposition avec l’apparition de ceux qu’on appelle les “scambaiters”. Des super scameurs en quelque sorte, le plus souvent américains, bien décidés à en découdre avec ces escrocs de la toile. Leur objectif: leur faire perdre un maximum de temps, et donc d’argent. Présentés à la manière des planches du Musée imaginaire d’André Malraux, sur des cimaises transparentes qui déroulent recto-verso tous les rebondissem*nts de ce jeu de l’arroseur arrosé, les archives collectées par Joreige et Hadjithomas prennent alors une saveur quelque peu amère, qui va croissant sur l’échelle du cynisme. Ainsi, on commence par ce scambaiter qui passe commande à “son scameur” de sculptures hyperréalistes d’objets du quotidien (des copies conformes de son clavier d’ordinateur ou de son sofa), puis à celui qui exige, en attendant d’entamer (soi-disant) les négociations, que le scameur rejoue la fameuse scène de la danse dans Les Aventures de Rabbi Jacob ou se fasse tatouer sur le bras des obscénités. Des missions quasi impossibles que les scameurs n’hésitent pas à leur tour à confier à d’autres plus pauvres encore, qui accepteront les pires humiliations pour quelques poignées de dollars. Parfois drôles, souvent sinistres, les échanges mail recensés en disent long sur la domination que les pays du Nord continuent d’exercer sur le Sud, sur la persistance des réflexes néocoloniaux mais aussi sur l’étonnante faculté qu’ont tous les participants à se livrer à ce jeu de dupes. Claire Moulène Je dois tout d’abord m’excuser… jusqu’au 13octobre à la Villa Arson, Nice, villa-arson.org

Courtesy de l’artiste/Le Consortium, photo André Morin

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Judicaël Lavrador Oreo jusqu’au 28 septembre au Consortium de Dijon, leconsortium.fr 20.08.2014 les inrockuptibles 91

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(presque) rien pour lamusique

L

a saison prochaine, la musique ne devrait plus être l’habituel parent pauvre du prime time. En adaptant le format israélien Rising Star, M6 renoue avec le télécrochet, un genre abandonné depuis l’arrêt de Nouvelle star en 2010, et avec la musique en première partie de soirée, case dont elle avait disparu pour se cantonner aux clips la nuit. France 3, qui ne lui a consacré qu’une douzaine de soirées en2013, prévoit des spéciales Joe Dassin, Michel Polnareff ou Vieilles Canailles –à l’occasion du spectacle qui réunira Johnny Hallyday, Eddy Mitchell et Jacques Dutronc en novembre. Et la chaîne publique maintient son effort sur la chanson française ledimanche après-midi, avec un magazine désormais animé par Dave et qui “présentera trois générations d’artistes”, insiste la nouvelle directrice des programmes, Dana Hastier. Ces nouveautés révèlent le traitement que subit la musique sur les chaînes gratuites, dominées par l’amateurisme et la nostalgie. “Hors événementiel comme The Voice, il s’avère difficile d’en faire en prime time, estime Bruno Patino, le numéro2 de France Télévisions. Car il existe deux filtres: la forme du programme et le contenu lui-même, les artistes ne correspondant pas forcément aux goûts de chacun.” Jugée peu fédératrice, la musique se retrouve par exemple sur France 2 dans les divertissem*nts de Michel Drucker et Patrick Sébastien, entourés des vedettes

des années 60 ou 80, ou encore via lesVictoires et la Fête de la musique. Pour célébrer le quatrième art, La Fête de lamusique, du soleil et des tubes, diffusée le21juin dernier, a convié la lauréate de l’Eurovision Conchita Wurst, La Fouine ou encore les indéboulonnables Patrick Fiori, Nolwenn Leroy, Christophe Maé, Tal, etc., avec Kendji –récent vainqueur de The Voice sur TF1– comme talent de demain… Sur la Une, la musique à 20 h 50 passe soit par le télécrochet, soit par Les Enfoirés et les NRJ Music Awards. Ou encore La Chanson de l’année, un palmarès maison illustrant une certaine vision de la scène musicale actuelle. Aux côtés des gros vendeurs Indila et Stromae figuraient, le 14 juin Joyce Jonathan, Bénabar, Patrick Bruel, Calogero, Julien Doré, HollySiz, Kyo, Bernard Lavilliers, Christophe Maé, Yannick Noah, Pascal Obispo, sans oublier Les Prêtres et Forever Gentlemen, deux coproductions de la chaîne. Seule exception ne confirmant pas la règle: London Grammar.

Xavier Leoty/France Télévisions

La télé aime-t-elle la musique ? Réduits à la forme de télécrochets ou de soirées hommages, les programmes musicaux peinent à trouver une place sur les antennes généralistes.

“des programmes mythiques comme Les Enfants du rock n’ont jamais attiré des millions de téléspectateurs” Alain Le Diberder, directeur des programmes d’Arte

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Xavier Leoty/France Télévisions

France 4 tente bien de faire de la place au live: ici Bastian Baker aux Francofolies

“Il faut sortir des hommages, des événements ou du télécrochet et faire preuve de créativité”, martèle Guillaume Leblanc, directeur général du Syndicat national del’édition phonographique (Snep). En son sein, les majors réclament “du live, desmoyens et des idées neuves”. Et déplorent que W9 et D17, chaînes de la TNT fondées sur un format musical, revoient à la baisse leurs obligations dans ce domaine. Dans un rapport paru fin juin, le syndicat souligne que la télévision reste “le principal moyen de découvrir de nouveaux titres pour 38 % du public”, sondage de l’Ifop à l’appui. Les réclamations de la filière musicale ont été en partie entendues par Jean-Marc Bordes, auteur en mars d’un rapport sur l’exposition de la musique dans les médias. Il propose à la ministre de la Culture d’“insérer dans le cahier des charges de France Télévisions (…) une obligation de diffuser nationalement (…) au moins une émission musicale par semaine aux heures de grande écoute (20 h-23 h).”

Acroire que le dispositif Alcaline, lancé l’an dernier sur France 2, n’a pas convaincu. Dans ce cadre d’émissions, la chaîne diffuse, à 20 h 40, une quotidienne de trois minutes sur un nouvel album. “Cette pastille permet d’exposer des artistes devant quatre à cinq millions de personnes chaque soir”, soutient Bruno Patino. S’y ajoute une deuxième partie de soirée lejeudi, avec un magazine ou un concert mensuel qui a accueilli Damon Albarn, Julien Doré, –M–, Coldplay… France 4 propose, elle, le lundi en deuxième partie de soirée, Monte le son. Mais le magazine pâtit de sa faible exposition, d’une programmation et d’une formule instables, et de moyens (trop ?) modestes. Les émissions musicales constituent un problème global pour les diffuseurs car elles se révèlent peu attractives. Même si 61 % des personnes interrogées par l’Ifop pensent qu’“il n’y a pas suffisamment d’émissions musicales à la télévision en soirée”, selon l’étude menée pour le Snep. En 2013, les émissions de variété ont,

selon Médiamétrie, représenté 10,3 % des programmes diffusés pour seulement 4,5 % des programmes regardés par le public. Anoter que la musique nereprésentait que 1 % des programmes diffusés en prime time, le principal carrefour d’audience. En attirant environ un téléspectateur sur cinq, La Chanson de l’année et La Fête de la musique, du soleil et des tubes, des productions coûteuses, réalisent néanmoins un score insuffisant. Et celles de deuxième partie de soirée, au casting plus pointu, ne font pas mieux. “Des programmes mythiques comme LesEnfants du rock n’ont jamais attiré des millions de téléspectateurs”, rappelle Alain LeDiberder, directeur des programmes d’Arte et ancien cadre de Canal+, chaînes à la programmation musicale plus audacieuse. “Le constat s’applique à Tracks mais Arte n’a pas les contraintes des autres chaînes”, admet-il. Lui préfère parler d’ambition plutôt que d’audience. DidierSiAmmour 20.08.2014 les inrockuptibles 93

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Ils ont libéré Paris

Extro

documentaire de Serge de Sampigny. Lundi 25, 20 h 45, France 3

l’adieu au papier Un documentaire se penche sur l’avenir, tout autour du monde, de la presse papier. Si le print disparaîtra (vite ?), le journalisme subsistera sous d’autres formes.

S

ous l’effet conjugué du développement fulgurant d’internet et du déversem*nt exponentiel d’informations à travers de nouveaux canaux et sur de nouveaux supports, le monde connaît un bouleversem*nt culturel comparable à celui que causèrent jadis le remplacement du parchemin par le papier et le déploiement de l’imprimerie. La disparition de la presse papier, qui aurait semblé inconcevable il y a seulement vingtans, apparaît désormais (quasiment) inéluctable. C’est de cette mort annoncée que Marie-Eve Chamard et Philippe Kieffer –qui ont tous deux été journalistes à Libération avant de créer leur société de production audiovisuelle (Extro) en 2001– s’attachent à dresser la chronique avec Presse: vers un monde sans papier, documentaire coproduit par Arte et réalisé par Pierre-Olivier François. Fruit d’une enquête au long cours menée dans plusieurs pays, le film s’inscrit dans la meilleure tradition du journalisme d’investigation et, riche de nombreux témoignages, se révèle captivant de bout en bout, malgré une mise en images sans relief –heureusem*nt contrebalancée par un sens consommé du rythme et du récit. Ne versant ni dans l’apologie béate du numérique, ni dans la sacralisation (tout aussi béate) du papier, les deux auteursenquêteurs circonscrivent au plus près la mutation en cours, dont la rapidité

n’a d’égale que l’ampleur, et nous aident à mieux en saisir les enjeux. Dans une époque de plus en plus tactile, le film nous fait précisément toucher du doigt ce paradoxe: l’énorme masse d’informations qui circule aujourd’hui en permanence fait peser une menace de mort sur les journaux traditionnels, les quotidiens étant les plus fragilisés. Même si le contexte socio-économique est difficile et l’avenir incertain, suscitant des craintes telles que celles exprimées par le philosophe Jean-Michel Besnier (sur le passage d’une ère de la médiation à une ère de l’immédiation), nul catastrophisme ne ressort du film, bien au contraire. D’un continent et d’une rédaction à l’autre, du Journal de Saône-et-Loire au Rajasthan Patrika en passant par LeMonde, le Guardian et le New York Times (au vingt-huitième étage duquel s’élaborent les formes de la communication de demain), on découvre comment les journaux du monde entier font face à cette menace et s’adaptent, avec plus ou moins d’agilité, aux nouvelles technologies et aux nouvelles habitudes de lecture afin de (re)nouer un lien fort avec leurs lecteurs. Une conviction paraît s’imposer: la presse papier peut mourir, le journalisme lui survivra. Jérôme Provençal Presse: vers un monde sans papier de Marie-Eve Chamard et Philippe Kieffer. Documentaire, dimanche 26, 22 h, Arte

Un retour sur la libération de Paris qui n’omet pas les zones d’ombre. Dans le cadre d’une soirée spéciale célébrant le 70eanniversaire de la libération de Paris, France 3 diffuse un documentaire dont la clarté et la densité font honneur à la télévision de service public. Produit par Histodoc avec la participation de France3 et réalisé par Serge de Sampigny, Ils ont libéré Paris –qui résulte visiblement d’un travail de recherche approfondi– mêle en un récit très fluide, mené en voix off par Jacques Gamblin, documents d’archives (filmiques, photographiques ou sonores, provenant pour certains de collections privées) et témoignages de personnes – parmi lesquelles l’acteur Claude Rich, le sociologue Edgar Morin et l’écrivain Roger Grenier – ayant assisté ou pris part aux événements. Arebours de la commémoration œcuménique et de l’autosatisfaction patriotique, Serge de Sampigny, faisant commencer le récit en avril 1944, s’attache à resituer le plus précisément possible dans son contexte cette période on ne peut plus trouble et permet ainsi au téléspectateur de l’appréhender dans toute sa complexité. Derrière l’image d’Epinal, brandie par le général de Gaulle lors de son fameux discours du 25août 1944, d’un peuple parisien vaillamment dressé contre l’occupant allemand, apparaît une réalité nettement moins héroïque, faite de courage autant que de lâcheté, le film remettant notamment en mémoire les actes de vengeance les plus vils, des exécutions sommaires de soldats allemands à la tonte des femmes accusées d’avoir couché avec l’ennemi. J.P.

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail: [emailprotected] ou [emailprotected] pour les abonnements, contactez la société Everial au 01 44 84 80 34

Le compte Twitter de Grégory Chelli, alias Ulcan, insaisissable sur le web

avis de cyberchasse Le hacker multirécidiviste Ulcan est la cible de la justice. Mais comment atteindre un cybercriminel ? epuis fin juillet, la liste d’accord d’extradition entre la France desméfaits commis par et Israël, la marge de manœuvre Grégory Chelli, plus connu est étroite. “Un mandat d’arrêt sous son pseudo de hacker international peut être émis par Ulcan, ne cesse de s’allonger. un juge d’instruction, explique Après avoir piraté plusieurs sites Christiane Féral-Schuhl, avocate internet ayant apporté leur soutien spécialiste des questions à la Palestine (NPA, Front de gauche, de cybercriminalité. L’Etat français PCF…), le hacker, qui se présente peut ensuite émettre un message comme un militant sioniste, a lancé d’alerte par le biais d’Interpol deux attaques par déni de service afin d’identifier l’individu concerné (DDos) contre Rue89 fin juillet. et de procéder à son arrestation.” Elles faisaient suite à la publication Twitter n’a pas attendu cette de son portrait. décision de justice. Le 12 août, Ulcan ne s’est pas arrêté en le réseau social a suspendu le compte si bon chemin: il a menacé l’auteur d’Ulcan. Il l’utilisait notamment du portrait ainsi que sa famille par pour tweeter les adresses téléphone. Pierre Haski, cofondateur personnelles de ses victimes de Rue89, a subi lemême sort. ou proférer des menaces Résultat: les articles sur Ulcan à leur encontre. Quelques heures sont désormais signés sous pseudo plus tard, Grégory Chelli avait à Libération, et une information de nouveau un compte. judiciaire a été ouverte par Son site internet Violvocal le parquet de Paris à la suite pourrait connaître le même sort. du dépôt de cinq plaintes. “En France, la loi prévoit Ancien membre de la Ligue qu’en présence d’un contenu dedéfense juive (LDJ) et spécialiste manifestement illicite il est du canular hardcore, Grégory Chelli possible de notifier à l’hébergeur s’amuse depuis quelques années le retrait du contenu. S’il ne à se faire passer pour la police afin s’exécute pas, un juge peut ordonner de mettre la main sur les casiers aux fournisseurs d’accès internet judiciaires de personnalités de bloquer l’accès au contenu. Lorsque avant de les diffuser sur le web. Le le site est situé à l’étranger, seul rappeur Booba avait même utilisé leblocage d’accès est envisageable l’un de ses enregistrements et doit être ordonné par un juge”, visant La Fouine en ouverture explique Christiane Féral-Schuhl. de l’un de ses morceaux. Elle admet malgré tout qu’exécuter Selon son compte Twitter, Ulcan les décisions de justice visant réside actuellement à Ashdod, des cybercriminels est une tâche en Israël. Mais comme il n’y a pas plus qu’ardue. Carole Boinet

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rédaction directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JDBeauvallet, Pierre Siankowski comité éditorial Frédéric Bonnaud, JDBeauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Marie Durand, Nelly Kaprièlian, Christophe Conte secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot chefs d’édition Elisabeth Féret, David Guérin reporters Stéphane Deschamps, FrancisDordor, Anne Laffeter actu rédacteur en chef Pierre Siankowski rédactrice en chef adjointe Géraldine Sarratia rédacteurs Diane Lisarelli, David Doucet style Géraldine Sarratia cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-BaptisteMorain, Vincent Ostria musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Maxime de Abreu livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/télé/net rédacteur en chef adjoint Jean-Marie Durand collaborateurs E.Barnett, R.Blondeau, D.Boggeri, V.Bonmartin, V.Brunner, L.Chessel, D.Commeillas, A.Desforges, P.Garcia, J.Goldberg, A.Jean, O.Joyard, B.Juffin, J.Lavrador, N.Lecoq, S.Manel, Q.Monville, L.Nicaise, P.Noisette, E.Philippe, J.Provençal, T.Ribeton, M.Robin, D.SiAmmour, L.Soesanto, D.Smith, P.Sourd, F.Stucin lesinrocks.com directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteur en chef Pierre Siankowski rédacteurs Diane Lisarelli, Thomas Burgel, Azzedine Fall, Carole Boinet, Claire Pomarès, Julien Rebucci, Maxime de Abreu éditeurs web Clara Tellier-Savary, Olivier Mialet graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem projet web et mobile Sébastien Hochart lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz assistant Lionel Nicaise responsable éditoriale du concours création vidéo Anna Hess lesinRocKs.tv chef de rubrique Basile Lemaire assistante Clémence Sgarbi photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee, Doris Emeriaud (stagiaire) photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Vincent Richard, Juliette Martin conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Nathalie Coulon, Luana Mayerau publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél.0142 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, télé) tél.014244 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél0142441812 coordinateur François Moreau tél.01 42 44 19 91 fax0142441531 assistante Estelle Vandeweeghe tél.01 42 44 43 97 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél.01 42441994 directrice adjointe Anne-CécileAucomte tél. 01 42 44 00 77 directrice de clientèle Isabelle Albohair tél.01 42 44 16 69 publicité web Chloé 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Jean-Luc Choplin, LouisDreyfus, fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, SergeKaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOetrimestre 2014 directeur de la publication Frédéric Roblot © les inrockuptibles2014 tous droits de reproduction réservés. 20.08.2014 les inrockuptibles 95

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tableau LaSemaine des quatre jeudis de Balthus Ça me rappelle la base de notre musique, la frontière floue entre adolescence et âge adulte, innocence et cynisme, conscients de nos propres défauts tout en cherchant à leur résister. A cette époque, le jeudi était le jour de repos des étudiants.

Le Grand Homme de Sarah Leonor Un enfant a pour héros deux légionnaires, dont son père. Un récit entre mythe et réalité.

Fugu Fugu 1 Réédition du premier album de cet orfèvre pop avec un son qui rend enfin justice à ses ambitions.

L’Amour et les Forêts d’Eric Reinhardt Le portrait d’une héroïne idéaliste fracassée sur l’arête tranchante du réel.

roman

album

LaFleur foulée au pied de Ronald Firbank J’ai découvert cet écrivain par le biais de LaPiscinebibliothèque, un roman d’Alan Hollinghurst avec un personnage passionné par Firbank. Ses romans sont remarquables. Ils privilégient la joie du langage, sans se soucier de l’intrigue ou même de la réalité.

Portamento des Drums Jouer une seule note de guitare à la fois, loin des accords habituels, permet aux mélodies d’émerger d’une façon différente et aérée, ce qui est impossible en ajoutant plein de guitares. Days et If He Likes It Let Him Do It sont de très bons exemples de ce style. propos recueillis parNoémie Lecoq

The Pains Of Being Pure At Heart Leur nouvel album, Days of Abandon, est disponible.

Les Gardiens de la galaxie de James Gunn Un blockbuster de superhéros nostalgique et ultradrôle, dont les stars sont la bande-son et un Walkman.

sur

Christine AndTheQueens Chaleur humaine Un premier album audacieux qui “queerise” la chanson française. Tristesse de la terre d’Eric Vuillard Allégorie de notre société du spectacle, à travers le mythe de Buffalo Bill et de son Wild West Show.

La Dune de Yossi Aviram Beau premier film, empli d’un silence éloquent. Sur le sable, un cinéaste est né.

Winter Sleep de Nuri Bilge Ceylan Une réactivation proustienne du grand cinéma d’auteur d’il y a quarante ans.

The Antlers Familiars Ce groupe important de l’indie-rock US entame une mue impressionnante.

Jungle Jungle Ces Londoniens rénovent en profondeur la soul anglaise.

The Knick OCS City Le retour réussi de Steven Soderbergh à la télévision. Masters of Sex saison 2, OCS City La série sur le sexe et l’amour qui manquait. The Leftovers OCS City La série la plus attendue de l’été, par le cocréateur de Lost.

La Peau de l’ours de Joy Sorman Le calvaire d’un enfant-ours exploité par les hommes. Un conte animal voluptueux et cruel.

Bois II d’Elisabeth Filhol Après La Centrale, Filhol poursuit son exploration du monde industriel avec un roman physique sous tension.

Ermite de Marijpol Une fable SF où le monde est peuplé de personnes âgées décidant de leur disparition.

Amazigh –Itinéraire d’hommes libres de Mohamed Arejdal &Cédric Liano Terrible récit d’un jeune Marocain qui décide de s’exiler en Europe.

Mathurin soldat –Un crayon dans le canon de Maadiar La vie d’un non-héros durant la Grande Guerre.

FoResT de Jérome Thomas Festival La Route du Sirque, Nexon Une promenade musicale, dansée et jonglée qui flirte avec le déséquilibre et la suspension.

Doctor Dapertutto Teatro del Silencio Aurillac Un spectacle déambulatoire mêlant cirque, théâtre de rue et musique.

Lucrèce Borgia mise en scène David Bobée Fêtes nocturnes de Grignan Béatrice Dalle dote Lucrèce Borgia d’une puissance tragique inédite.

Bertille Bak Grand Café, Saint-Nazaire La vidéaste infiltre à sa manière intraitable et pudique l’univers des marins de paquebots.

Bad Brain CAPC de Bordeaux Le Californien Aaron Curry expose ses sculptures au profil bien affûté.

1984-1999. LaDécennie Centre Pompidou-Metz Une time capsule signée Stéphanie Moisdon, dont la très belle scénographie paysagée a été conçue par l’artiste Dominique Gonzalez-Foerster.

Soldats inconnus sur PS3, PS4, Xbox 360, Xbox One, PC Le vétéran du jeu vidéo made in France Paul Tumelaire accouche d’un jeu de prestige pour le centenaire de la Première Guerre mondiale.

Tomodachi Life sur Nintendo 3DS Une simulation qui vous accompagne au quotidien au lieu de vous en extraire. Entre Sims et Animal Crossing.

Where Is My Heart? sur PC et Mac Pour ceux qui l’auraient manqué en 2011 sur les consoles Sony, une séance de rattrapage en forme de bénédiction.

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Jérémie Renier par Renaud Monfourny

L’acteur belge tient le rôle principal du film de Sarah Leonor, Le Grand Homme (en salle), et sera à l’affiche, le 24 septembre, du Saint Laurent de Bertrand Bonello. 98 les inrockuptibles 20.08.2014

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Author: Kelle Weber

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Name: Kelle Weber

Birthday: 2000-08-05

Address: 6796 Juan Square, Markfort, MN 58988

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Job: Hospitality Director

Hobby: tabletop games, Foreign language learning, Leather crafting, Horseback riding, Swimming, Knapping, Handball

Introduction: My name is Kelle Weber, I am a magnificent, enchanting, fair, joyous, light, determined, joyous person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.